Des attaques menées partout ont clairement signifié à l'occupant et au monde le réveil de l'Algérie. Il y a de cela plus d'un demi-siècle, exactement cinquante-trois ans, le soleil de la liberté se levait pour chasser la nuit coloniale. Préparée dans le secret qui sied aux grandes oeuvres, la nuit sacrée était décidée pour le 1er novembre. Des Algériens parmi les plus dignes fils de cette terre avaient fait le serment de lutter pour que le pays puisse vivre libre et indépendant et rejoindre sa place dans le concert des nations. En Kabylie, qui, dans le langage révolutionnaire, était la «zone de Kabylie» avant de devenir plus tard la Wilaya III, les choses allèrent crescendo. Les maquisards, qui, depuis 1947, se préparaient à la guerre d'Indépendance, rejoignent rapidement les rangs de la véritable révolution. Des noms commencent à scintiller dans le firmament de l'épopée: Krim Belkacem, Ouamrane furent de ceux-là. Dans La Nuit de Novembre, feu Ali Zamoum, un des lieutenants de Krim à l'époque, raconte comment, dans ce petit village d'Ighil Imoula, les militants et un journaliste algérien usaient de mille ruses pour imprimer la proclamation de Novembre. La vieille ronéo est d'ailleurs toujours en place à Ighil Imoula. Le visiteur peut la voir au musée local érigé dans la maison même qui servit de refuge aux maquisards en cette nuit sacrée. Les maquisards ont été, cette nuit-là, au four et au moulin. Des attaques menées partout ont clairement signifié à l'occupant et au monde le réveil de l'Algérie. En Kabylie, ce sont de nombreuses actions qui y sont menées: incendies de dépôts de liège, attaques des agences de la Société indigène de prévoyance, incendie du car d'un transporteur algérien et enlèvement de son fils. Ces actions font les gros titres de la presse coloniale: L'Echo d'Alger de De Sérigny, Le Journal d'Alger, proche des libéraux de Jacques Chevalier, et La Dépêche de Schiaffino parlent, pour la première fois, d'actes de violence en Algérie. L'establishment colonial commence à prendre peur. L'Algérie debout marchait sur la voie de l'honneur. La nuit coloniale se déchire Les populations commencent lentement à se faire à l'idée nationale. Dans les villages de montagne, les premiers maquisards entrent doucement en contact avec les populations. De leur côté, la police et la gendarmerie sont sur les dents. La France pense immédiatement aux militants du PPA du Mtld, mais très vite, ils s'aperçoivent que ce mouvement n'était en rien responsable de la nuit sacrée. Les révolutionnaires, eux aussi, expliquent aux populations le sens et l'objectif du combat. Ce ne sera que plus tard que le sigle FLN sera connu des populations, qui arrivent à faire la différence d'avec les anciens sigles. En Kabylie, des batailles meurtrières ne tardent pas à voir le jour entre les partisans de Messali, regroupés au sein du MNA, et les moudjahidine de l'ALN. La plus terrible de ces batailles met face à face les groupes messalistes et les groupes de l'ALN au Djurdjura. L'avantage acquis permet au FLN de continuer son travail d'information envers l'émigration et de commencer la structuration des villages et des hameaux. Le FLN se renforce et l'ALN s'équipe. Vers le milieu de l'année 1955, la Kabylie est entièrement acquise au FLN. De son côté, l'occupant multiplie la présence d'hommes de troupe avec, en sus de la gendarmerie et de la police, des hommes de troupe et des supplétifs appelés les Gmpr (Groupes mobiles de police rurale). Le combat s'intensifie et les moudjahidine, utilisant les méthodes de combat de guérilla, commencent à prendre de l'assurance et organisent des embuscades, embuscades qui se révélent meurtrières pour l'ennemi. Par la grâce de ces hommes intrépides et décidés, la nuit coloniale commence à se déchirer. L'administration coloniale se met à prendre peur devant la volonté de ces hommes et leur décision d'arracher au prix de leur vie la liberté pour leur peuple. Les actions des groupes de l'ALN se font plus intrépides et les populations commencent à avoir confiance en ces valeureux hommes qui forcent le destin. Dans les villages, les premières cellules de soutien à la lutte armée apparaissent. Les moussebiline forment ainsi l'épine dorsale des troupes de l'ALN. Un autre monde se met en place. Un monde où l'indigène prend en main son destin. Le caïd, l'amin, le bachagha commencent à appartenir au passé. La répression se fait aussi dure et de plus en plus âpre. Des Algériens sont arrêtés et souvent conduits dans des camps de sinistre mémoire, où souvent la mort était au bout, après d'atroces souffrances. Dans les villages, et sous la houlette des groupes de moussebiline, les situations changent. Les gens ne font plus appel à la justice coloniale pour leurs différends qui sont réglés sur le champ. Les déclarations de naissances, de mariages et de décès commencent à se faire auprès de l'officier ALN en charge des habous, et les impôts ne sont plus payés. Au bout de la première année de la révolution, le paysage politique a complètement changé. Les Algériens redécouvrent doucement l'autonomie. Désormais organisés autour du FLN/ALN, les villageois sont devenus d'autres hommes. Les moussebiline multiplient les actions de sabotage contre l'infrastructure pouvant être exploitée par les forces ennemies. C'est ainsi que, pratiquement tous les jours, les routes assurant les liaisons aux troupes adverses sont coupées ainsi que les lignes téléphoniques et les lignes électriques assurant surtout le confort de la minorité occupante sabotées. Les Français d'Algérie découvrent l'angoisse, la peur et aussi la colère des «burnous». Un peuple se prend en charge et, avec ses propres moyens, entend libérer son pays! L'adversaire essaie d'accréditer la thèse de l'ennemi extérieur, dans ses tracts et graffitis qui ont envahi le terrain, et où les Français affirment que «la révolution est dirigée par Le Caire». Dans leur haine et leur crasse ignorance, les Français, d'Algérie, notamment, pensaient que «les indigènes, qui sont par définition des sous-hommes, sont incapables de s'organiser et de mener une révolution». Quelques mois plus tôt, lors d'un déplacement en Algérie, François Mitterrand, alors ministre de l'Intérieur, devait réaffirmer sa volonté et celle de son gouvernement de ne jamais céder. Pour lui, «l'Algérie, c'est la France!» Plus la lutte avance et plus le peuple s'organise et prend la révolution à bras-le-corps. Les troupes de la glorieuse ALN sont plus disciplinées et plus aguerries. Les coups de boutoir de l'ALN se font plus «fructueux». Le cri d'un peuple Novembre est en marche, et là-bas, à Bandung (Indonésie), des responsables démontrent que le FLN est un mouvement de libération. Ces victoires mettent Christian Pineau, le représentant de la France à l'ONU, dans tous ses états. Le cri d'un peuple opprimé, depuis plus d'un siècle, se fait entendre dans l'arène internationale! Au plan interne, la répression se fait plus violente, et c'est justement cette répression qui aide le FLN. Les populations deviennent le vivier naturel qui fournit les hommes aux troupes de l'ALN et des politiques au FLN. Dans les villages, on se bat presque pour faire partie des groupes de moussebiline, et appartenir à l'ALN est un honneur incommensurable. Les déportations et autres assignations dans les camps honteusement baptisés camps d'hébergement se font plus nombreux. Les Algériens découvrent enfin une existence, celle d'hommes libres et entendent le rester au prix de leur vie. Très tôt, apparaissent les SAS, imaginées par le général Parlange. Cet officier supérieur pensait que les Algériens s'étaient révoltés uniquement contre le vieux système des caïds et autres bachaghas. On est enfin arrivé au système, un homme, une voix mais trop tard, car le peuple a désormais un autre but et un autre objectif: la restauration de la souveraineté nationale. Dans les villages excentrés, là où les troupes de l'ALN assurent l'ordre et la tranquillité, un autre drapeau est hissé, celui de l'Algérie. Elles sont belles ces couleurs qui ont dû se terrer durant de longues années. Durant ces premières années, le FLN multiplie les actions auprès des populations, on ouvre des écoles, on soigne les malades et surtout on organise la vie sociale. Le 5 Juillet 1962, un groupe d'officiers supérieurs de l'ALN et des cadres du FLN, dont le vieux colonel Mohand Oul Hadj, hissent le drapeau national à Sidi Fredj. L'objectif était atteint, l'Algérie renaissait officiellement à la vie!