A 20 ans, il quitte son pays et s'installe en Suède pour y exercer sa passion pour le bâtiment... On est loin du petit artisan qu'il était à ses débuts. En effet, après le lycée technique de Ruisseau, Mohamed s'installe à Stockholm où il est tourneur-fraiseur dans l'industrie puis coiffeur dans son propre salon . Or, ce n'est pas encore ce qu'il veut faire dans la vie, mais plutôt travailler dans le bâtiment car, dit-il avec le sourire, «j'ai toujours aimé les belles et vieilles maisons». Puis, Mohamed vend son salon de coiffure. ça y est, c'est décidé, il sera staffeur, un employé dans la restauration des ornements et la décoration architecturale. Il sera entouré de vieux maîtres hollandais et suédois qui ont su lui inculquer le goût et le savoir-faire et lui ont appris surtout comment restaurer les vieilles maisons. Aujourd'hui, M.Gadji Mohamed, a 56 ans et 16 années de labeur derrière lui. Cinq ou six années de galère durant lesquelles il s'est consacré entièrement et durement à son métier de staffeur, qui ont finalement porté leurs fruits «puisque maintenant, je peux entrer au château royal que je restaure», et de préciser avec une pointe d'humour et de nostalgie: «C'est en forgeant qu'on devient forgeron. Et bien, je n'ai pas arrêté de forger...» Pour M.Gadji, ce qui fait la force des Français par exemple, c'est la finition: «C'est le résultat final qui compte car c'est comme cela qu'on devient professionnel». En effet, il est question d'abord et avant tout de conscience et d'amour pour ce métier. Sa carrière ainsi lancée par un travail acharné, plein de passion et de persévérance, Mohamed en vient à monter sa propre société et prend sous son aile quelques artisans qu'il formera à son tour et ce, dans le souci majeur de permettre aux générations futures de perpétuer ce précieux legs qu'il a hérité de ses maîtres. «On fait tout pour que le métier ne disparaisse pas», affirme-t-il avec beaucoup de sincérité. Dans la reproduction des sites, monuments ou autres modèles, le rôle de staffeur vient en deuxième position après l'artiste. «L'artiste dessine, l'architecte fait le plan et moi, je réalise le plan de l'artiste.» Il s'agit pour notre staffeur de reproduire des moules ou des copies de monuments historiques notamment les vieilles maisons ou statues. Récemment, il a eu à réaliser moult reproductions pour le compte d'un musée en Suède et notamment ce monument représentant Carl Midles, (soldat suédois mort pour l'ONU) mais aussi l'emblème de Charles Gustave, le troisième... Il va sans dire que le travail de M.Gadji consiste en la conservation du patrimoine national de la Suède. Mais qu'en est-il du nôtre? «Chez nous, on importe les moules d'Espagne et d'Italie... plutôt que de façonner des motifs architecturaux qui appartiennent à notre culture arabo-berbère islamique. Ce qui est aberrant et complètement faux!» et d'ajouter: «Nous devrions promouvoir les artistes algériens au lieu de procéder ainsi car nous sommes en train d'occidentaliser l'Algérie, ce qui est vraiment malheureux. Aussi, sommes-nous en train de perdre notre identité.» Pour notre staffeur, il est impératif de former à l'avenir des équipes dans ce sens sous l'égide de conservateurs et les spécialiser. Et pour ce faire, «il faut que notre pays puisse envoyer des étudiants dans des écoles qui se trouvent en Pologne et en Hongrie. Le plus économique serait d'apprendre le Polonais en Algérie». Et d'étayer son argumentation: «La Pologne a été rasée pendant la Seconde Guerre mondiale puis reconstruite de fond en comble. Ce qui n'a pas été le cas pour l'Allemagne de l'Ouest. Tout est moderne en elle aujourd'hui car elle n'a pas su sauvegarder son patrimoine.» Notre staffeur exhorte notre gouvernement à former surtout des conservateurs et des équipes capables de restaurer convenablement la ville. Prenons le cas de La Casbah. Celle-ci, dit-il, «renferme des vestiges dans ses remblais qui devraient être emmagasinés pour les générations futures. Je les ai vus de mes propres yeux. Des colonnes de marbre datant de 4 siècles. Ce sont des vestiges que nos petits-enfants ou nos arrière-petits-enfants chercheront dans 20 ans à la fourchette et au pinceau...» Aussi, favoriser les gens du métier nécessite de leur donner avant tout le goût de la vie et des belles choses, d'après M.Gadji. «C'est à l'école des Beaux-Arts de les sensibiliser puis aux conservateurs de faire le reste». Pour être un bon staffeur, souligne-t-il, «il faut être doué, habile de ses mains, aimer ce qu'on fait et surtout être doté d'une grande patience, une qualité qui doit être toujours présente quand il est seul dans son atelier à peaufiner les finitions de tel ou tel objet...» Aujourd'hui, Mohamed n'a plus rien à prouver. Reconnu dans le milieu, on fait souvent appel à ses services, y compris pour monter une cheminée dans le style de Louis XIV. Tout passe par ses doigts agiles. Un savoir-faire qu'il a pu acquérir et maîtriser avec le temps. Voilà encore un des nombreux Algériens qui ont réussi à l'étranger... haut la main!