Comme quoi, même un pays riche et joyeux dans lequel l'Union européenne a choisi sa capitale, Bruxelles, pour siège de ses institutions, n'est pas à l'abri d'une dérive politique, voire d'un effondrement. Pays de cocagne, la Belgique profonde s'est offerte, dimanche dernier, une joyeuse kermesse politique aux dépens de sa classe politique. Une simple citoyenne, Marie-Claire Houart pour la nommer, écoeurée par les surenchères politiques des lauréats des élections législatives du 10 juin dernier et de leur incapacité à trouver un accord pour donner au pays un nouveau gouvernement fédéral, a lancé de sa ville de Liège, une pétition nationale appelant les citoyens belges à défendre l'unité du pays. Après avoir recueilli plus de 140.000 signatures, c'est tout un mouvement citoyen qui s'est mis en branle pour aboutir à une marche populaire, ce dimanche donc, afin de défendre l'unité du pays. Ils étaient plus de 30.000 marcheurs venus de tous les coins de la Belgique. Partis de la gare du Nord, sillonnant sur près de 5km les principales artères de la capitale, Bruxelles, ils ont fini dans un grand rassemblement au parc du Cinquantenaire, face au siège du Conseil européen et de celui de la Commission. Drapeaux et banderoles déployés, les jeunes entonnèrent la «Brabançonne», l'hymne national. Les calicots sur les banderoles exprimaient le ras-le-bol du peuple vis-à-vis des séparatistes flamands et de leurs leaders politiques. «België best» sur beaucoup de banderoles, répondant ainsi aux séparatistes du Nord, notamment le Vlams Bellang, parti d'extrême droite flamand qui avait affiché, la semaine dernière, le mot d'ordre «België barst» (Belgique crève). Le rassemblement de dimanche dernier illustre le fossé qui sépare les partis politiques des citoyens. Cinq mois après les législatives, les partis vainqueurs de ces élections, essentiellement les chrétiens démocrates flamands et les libéraux francophones, regroupés dans une alliance dite «Orange bleu», n'ont pas encore abouti à la mise sur pied d'un gouvernement fédéral. La raison en est le réveil du nationalisme flamand qui revendique une réforme institutionnelle qui aboutisse à un régime confédéral en lieu et place de l'actuel régime fédéral. Au fond, la revendication flamande a des relents de calcul financier. Avec ses 6 millions d'habitants, la région flamande vivant l'aisance financière et l'abondance, ne veut plus être solidaire de la région francophone du Sud, la Wallonie et ses 4 millions d'habitants, dans les grandes politiques publiques telles celles de la sécurité sociale, la fiscalité, l'emploi, les transports, la santé...Autant dire qu'un tel projet n'est rien d'autre qu'une indépendance déguisée sous l'habit des réformes, de la Flandre. La volonté des Flamands de mettre la pression sur les francophones s'est illustrée le 7 novembre dernier, par le vote de la chambre basse du Parlement de la scission de la circonscription électorale Bruxelles -Hall- Vilvoorde (BHL), qui regroupe trois grandes communes de la périphérie de Bruxelles. Là, vivent 120.000 francophones, soit une large majorité de la population, à qui les Flamands tentent de leur enlever le droit de vote pour leurs listes (francophones). Aussitôt, les négociations ont été suspendues (pour la deuxième fois), le roi a nommé les présidents du Sénat et de la chambre basse comme médiateurs pour «déminer» la situation. C'est dans cet esprit que la marche citoyenne de dimanche a eu lieu. Elle a appelé les leaders politiques à mettre l'unité du pays et la solidarité nationale au-dessus de toute considération partisane. Ici et là, l'on parle d'une issue de crise et d'un nouveau gouvernement avant les fêtes de Noël. Soit six mois après les élections législatives. «Avec le fil des jours pour unique voyage» chantait J. Brel, dans Le Plat pays. Lui, le flamand, qui amena haut la Belgique en chantant en français.