Avec le report pour la cinquième fois de l'élection du chef de l'Etat, le Liban a ouvert son destin à toutes les options. Jeudi déjà, la rumeur affirmait que la séance «électorale» prévue pour le lendemain serait reportée à une date ultérieure. Hier, tous les députés étaient présents -ils sont arrivés sous des protections exceptionnelles par crainte d'attentats- au Parlement non pas élire le futur président mais pour confirmer un report devenu inévitable face à l'impasse induite par l'impossibilité d'arriver à un consensus entre la majorité pro-occidentale et l'opposition soutenue par Damas et Téhéran. Ce qui a fait dire à des observateurs que le Liban a ouvert son destin à toutes les options. Et de fait, la situation est devenue aujourd'hui intenable au moment où les Libanais ont projeté le pays du Cèdre au bord du gouffre. Aussi, c'est sans surprise que le Parlement a entériné hier, à l'issue d'une brève réunion des députés, le renvoi à vendredi prochain du scrutin pour l'élection du successeur d'Emile Lahoud, dont le mandat s'est achevé hier à minuit. Dans un communiqué lu par le porte-parole du Parlement, Mohamed Ballout, le président du Parlement, Nabih Berri, indique que «la séance a été reportée à vendredi prochain, le 30 novembre, pour permettre plus de discussions et afin de parvenir à un accord» sur le futur président. La troïka européenne -composée des chefs de la diplomatie espagnole, Miguel Angel Moratinos, française, Bernard Kouchner et italienne, Massimo d'Alema- présente à Beyrouth depuis jeudi, n'est pas parvenue, malgré ses efforts continus, à concilier et à rapprocher les positions des deux parties demeurées trop éloignées pour parvenir au consensus tant recherché. De fait, le fossé est tel entre les deux parties que la coalition au pouvoir n'a pas hésité hier à mettre en garde le président sortant contre toute présence à la résidence présidentielle après l'expiration de son mandat, il encourt des «poursuites judiciaires». Dans un communiqué de la majorité lu par le vice-président du Parlement, Farid Makari, celui-ci déclare que si le président Lahoud «(...) choisit de rester (...), il s'agira d'un crime contre la Constitution, ce qui est sanctionné par la loi». Voilà donc où en sont les choses à Beyrouth où le clash semble consommé entre les deux parties. De son côté, le président sortant, Emile Lahoud, a confirmé, par le biais de son porte-parole, Rafic Chalala, que celui-ci quittera le Palais présidentiel à la date convenue par la Constitution. M.Chalala a indiqué que le président sortant Emile Lahoud, «(...) prendra cette décision ce soir avant de quitter le palais présidentiel de Baabda à minuit». Par ailleurs, le porte-parole du chef de l'Etat libanais a indiqué que le report de la séance d'élection du nouveau président «(...) l'a donc poussé à étudier des mesures qu'il doit prendre dans le but de préserver la sécurité et la stabilité du pays et de maintenir l'unité du Liban, de son territoire, de son peuple et de ses institutions», a-t-il ajouté. Dans ses développements depuis le 25 septembre et l'échec de la première séance élective, l'affaire du futur président libanais est devenue une «affaire» internationale, avec la médiation, ou l'ingérence selon d'aucuns, de parties étrangères représentées par la troïka européenne. La majorité au pouvoir, soutenue notamment par les Etats-Unis et la France, et l'opposition menée par le Hezbollah, notamment, proche de la Syrie et de l'Iran, n'arrivent pas à s'entendre sur le nom du futur président que les uns et les autres le soupçonne d'être le pantin de l'Occident, soit d'être inféodé à Damas et Téhéran. A partir de là, l'impasse semblait hier sans issue, quand même le patriarche maronite, Nasrallah Sfeir, n'est pas parvenu à faire admettre l'un des noms de la liste qu'il a proposé, aux parties en conflit. Il faut rappeler que le président libanais, selon la Constitution du pays, est choisi dans la communauté maronite, (chrétiens) alors que le chef du gouvernement est issu de la communauté sunnite quand la présidence du Parlement est dévolue à un chiite. Ce partage du pouvoir qui organise la loi fondamentale du Liban date de 1943 à l'époque du mandat français sur le pays du Cèdre. Le pouvoir libanais fondé sur le communautarisme, a montré ses limites lors de la guerre civile (1975-1990) et devait être réactualisé conformément à l'accord de Taef (Arabie Saoudite) en 1990. Or, dix-sept ans après la fin de la guerre, rien n'a été entrepris pour la révision de la Constitution libanaise. En fait, la situation qui prévaut aujourd'hui au Liban est la même que celle qui prévalait à la veille de la guerre civile en 1975.