Il reproche aux banques de laisser «dormir» des milliards de dinars dans les coffres. Si les sondages d'opinion accompagnaient régulièrement la vie politique de notre pays, ils auraient révélé que la cote de popularité de Ouyahia est remontée de plusieurs crans depuis samedi dernier. Egal à lui-même, le leader du RND a, au cours de l'émission «Baramidjouhoume» (leurs programmes) diffusée en direct sur les trois chaînes de l'Entv, asséné plusieurs vérités, parmi elles, celle des passe-droits qui a cours au profit d'une certaine catégorie de hauts responsables est apparue comme un coup de tonnerre dans un ciel bien étoilé. Abordant la politique économique du pays, M.Ouyahia reproche aux banques de laisser «dormir» des milliards de dinars dans les coffres. De ne pas accorder suffisamment de crédits aux petits entrepreneurs. De ne pas remplir complètement la mission naturelle d'une banque qui est de prendre des risques. Par contre, dira-t-il, des crédits faramineux sont accordés aux protégés des puissants du régime. Il utilisera pour cela la métaphore «d'avoir une carte de visite et un téléphone portable». Conscient du poids de son accusation, l'ancien chef de gouvernement a tenu à préciser qu'il pesait ses mots et assumait ce qu'il disait. Il est vrai que la pratique est connue de l'opinion, surtout les scandales financiers que la justice a eu dernièrement à traiter. Mais dans la bouche d'un homme politique de l'envergure de Ahmed Ouyahia qui a été deux fois chef de gouvernement sans compter ses autres postes ministériels, une telle confirmation prend un poids considérable. On connaissait Ouyahia l'éradicateur du terrorisme, mais on ne peut non plus s'empêcher de penser que le ton ferme utilisé pour condamner une telle pratique bancaire le rend éradicateur de tous les fléaux qui minent la nation. Cela dit, on pourrait reprocher au leader du RND de se confiner au constat et de ne pas proposer de solution. En effet, et malgré tous les procès qui ont mis à nu les dyfonctionnements des banques publiques et mené en prison certains de leurs responsables, des dignitaires continuent de puiser, via des prête-noms, tranquillement dans les coffres de ces banques. C'est à croire qu'ils sont réellement intouchables et donc peuvent faire la pluie et le beau temps. Si tel était le cas, il faudrait cesser de faire croire à la démocratie, à l'Etat de droit, à tout ce qui fait une nation moderne. Si tel était le cas il serait plus que légitime que les citoyens tournent le dos à cette administration et le font savoir par l'abstention massive lors des rendez-vous électoraux. Samedi soir, Ouyahia a frappé fort. Il a fait mouche. Sauf que s'il s'arrête en si bon chemin, c'est-à-dire s'il ne rassure pas l'opinion sur le sort que l'Etat doit réserver à ces «super-citoyens», le leader du RND obtiendra l'effet inverse de son message. Les électeurs pourraient y trouver l'argument massue supplémentaire pour ne pas se rendre aux urnes. Si dire certaines vérités amères au peuple est louable et augmente l'adhésion de ce même peuple autour de l'homme politique qui les ose, il est tout aussi dangereux pour ce dernier de s'en tenir là. Son rôle, précisément, est de montrer la meilleure voie pour effacer ce goût amer. Assurément, et même s'il «assume», Ouyahia, samedi soir, en a trop dit ou pas assez.