Alger vient d'obtenir une superbe structure où nos artistes pourront enfin exposer leur «délire». C'est l'artiste Malek Saleh qui a eu l'insigne honneur, hier, d'inaugurer comme il se doit, le Musée national d'art moderne et contemporain d'Alger. En effet, fermées depuis près de 15 ans, voilà que les anciennes galeries de la rue Ben M'hidi se transforment en lieux superbes abritant la culture sous ses diverses formes et dédiés plus particulièrement à la peinture, au design, la sculpture et la photo. Un travail de longue haleine qu'il a fallu pour retaper, depuis mars dernier, ces locaux retrouvés dans un état lamentable...Aussi, c'est ce fut une véritable gageure pour ces ouvriers et autres architectes a qui incomba la responsabilité d'en faire un lieu de rayonnement culturel et ce, dans un temps record, surtout qu'il entre dans le cadre de l'événement, «Alger, capitale de la culture arabe 2007». Un événement qui arrive à sa fin mais qui connaîtra assurément une suite..Ainsi ce musée abrite depuis hier et jusqu'au 10 janvier, 180 oeuvres du plasticien Malek Saleh. Baptisée Majnoun Leïla, cette exposition est dispatchée en quatre séries dont l'élément fédérateur représente des formes géométriques accompagnant l'artiste dans sa quête absolue vers la pureté, ou la lumière. Entre quête d'amour et lien spirituel marqué par l'alphabet arabe, les oeuvres de Saleh marquent une halte vers la méditation; à l'image de ces totems et ces sculptures où l'artiste lui-même est représenté tel un boudhiste, quand ce n'est pas le portrait de sa muse ou de ces belles odalisques géantes, peintes, en noir, bleu et rouge qui sont mises en scène. Des couleurs dominantes qui reviennent souvent dans ses oeuvres où le figuratif se dilue, disparaît peu à peu pour transfigurer un autre univers rêvé ou idéalisé..«C'est un des aspects de la conscience: produire sans cesse. L'important est dans ce processus en marche, car il contient en lui, en filigrane, dans ce côté perpétuellement changeant, quelque chose d'ineffable, de magique. Il y a un secret derrière les oeuvres ainsi produites, derrière les images et formes...mais ceci est un autre sujet. Ce que je donne à voir ainsi est le résultat d'une expérience sur les mécanismes de production de la conscience. C'est ainsi que je l'ai vécu, à Alger. Derrière ce bouillonnement qui caractérise cette ville, cette impression de chaos qui semble dominer tous les événements, j'ai, à défaut de produire un projet pensé en France, réalisé ce travail de substitution, imposé par cette position géographique, voulu après coup, revendiqué, à présent. Comme Majnoun, j'ai, en vérité, trouvé Leïlâ», explique l'artiste. Et le commissaire de l'exposition, Nouredine Ferroukhi de révéler: «Les oeuvres de Malek Saleh ne sont pas de simples portraits ni des scènes de genres, mais plutôt des scènes intimistes. Ce qu'il peint, c'est la vibration mystique, la sensualité, le désir. Son oeuvre est un immense hymne à la méditation portée par une conception audacieuse et épurée à la fois. Vision novatrice et volontarisme esthétique qui mènent à une expression réussie qui prend elle-même ses racines dans le tempérament de l'artiste» et d'ajouter: «Il y a dans cette exposition des peintures étranges auxquelles se mêlent d'aussi étranges personnages pour raconter des histoires dont on ne sait plus très bien si elles sont réelles ou inventées. Mais que nous importe qu'ils aient existé ou non. Majnoun et Leïlâ, vivent là, devant nos yeux. Ce sont les poèmes que l'on a bien voulu lui attribuer et que la légende a bien voulu nous transmettre (...) Les indices sont là, constitués d'éléments comme l'ombre et la lumière, la chair et l'obscur. On pourrait ainsi qualifier Malek Saleh de ‘'matiériste'', d'informel ou, pourquoi pas, de minimaliste. Lorsqu'il crée son oeuvre, il engage son moi tout entier sans être pour autant en danger de le perdre. En effet, si l'oeuvre ne représente pour lui qu'une grande partie de son moi intime, il n'est pas moins certain qu'elle exprime la personnalité de l'artiste dans son intégralité Et c'est de cette identité du spirituel, sous-jacente au concept de l'insuffisance ou du manque, que dépend son dernier ressort: l'effet de plaisir produit par son oeuvre est, en ce sens, quelque chose de libérateur. Pour Malek Saleh, le reflet de l'âme se retrouve dans une matière tourmentée où il inscrit sa douleur et son tourment. Pour lui, le repos n'est qu'une pause entre deux drames, lesquels s'inscrivent en creux et bosses dans la structure humaine. Chaque modulation de la vie, les visages comme les corps sont ainsi isolés dans son ´´moi´´. Aussi bien la peinture que le dessin, la photo ou la sculpture se côtoient dans le même être vivant comme des parties vides, lisses, travaillées en materia-prima.». Bref, les oeuvres de Malek Saleh se dérobent de l'imaginaire pour venir côtoyer l'affection dans toute sa rêverie...Une belle exposition qui précède celle qui viendra au mois de décembre prochain retracer l'âge d'or des sciences arabes et qui sera inaugurée au premier étage du musée. La réplique exacte, nous dira M.Orif, de l'expo tenue en 2006 à l'Institut du Monde arabe. Ce dernier nous confie que ce musée est l'oeuvre du ministère de la Culture. Il a été réalisé suite à un concours lancé pour des architectes entre ici et ailleurs. «Il fallait absolument garder ce lieu en tant que patrimoine et donc conserver son aspect traditionnel. Son aménagement a coûté environ 7 millions de dinars. Nous avons énormément d'artistes mais peu de salles d'exposition. Nous voulons faire de ce lieu un espace de diffusion pour tous ces créateurs». Et l'architecte, Halim Faïdi, d'indiquer: «Pour sa réhabilitation, il a fallu d'abord inverser l'ordre des escaliers, construire une fosse, soulever la dalle du rez-de-chaussée pour agrandir l'espace. On a démonté tout l'escalier, gardé la même boiserie et l'on a peinte en blanc. Ce n'est pas une restauration. C'est un lieu unique au monde. On a essayé de conserver tout ce qui appartient à la mémoire des gens. Il a fallu récupérer les motifs en bois de la mosquée Ketchaoua. Le bâtiment a un siècle. Il a été sécurisé conformément aux normes muséales dans le monde, à savoir contre le séisme, l'incendie etc. C'est un musée qui se veut populaire. Il y aura une librairie à l'entrée. Le rideau est transparent de façon que même fermé, le musée donne sur la rue et expose ses merveilles. Tout est fabriqué en Algérie avec des ouvriers algériens et quelques techniciens étrangers». Alger vient d'obtenir une superbe structure où nos artistes pourront enfin exposer leur «délire» dans un espace étonnant et qui plus est, original. Un savant mélange entre la tradition et la modernité. Voilà qui augure de bonnes idées de la part de ses «géniteurs» pour un espace que l'on espère, à l'avenir nous surprendre, nous émouvoir et même pourquoi pas nous choquer! Car telle est l'essence de la créativité...