Pas facile d'être une femme dans une corporation où l'élément masculin est majoritaire. Toute seule au milieu de tous ces hommes, elle paraît bien frêle. Lynda Lounis est, pourtant, bien là à lever, tout en étant assise sur l'une des cinq chaises autour du tatami, son petit drapeau rouge ou bleu lorsqu'elle n'est pas carrément sur le tapis en train de diriger un combat, même entre messieurs. Il s'agit, vous l'aurez deviné, d'une femme arbitre, la seule à officier dans un sport aussi contraignant que le karaté. Lynda est Algérienne et elle ne se sent pas du tout gênée de se retrouver seule au milieu de toute cette gent masculine. «Je m'y suis habituée, surtout qu'au niveau africain et arabe, nous ne sommes que deux à représenter l'arbitrage féminin dans le karaté. Il y a une Marocaine et moi», nous a-t-elle dit. «Ici, aux Jeux sportifs arabes, je suis seule. Ma collègue n'est pas venue, mais cela ne me dérange nullement. Ce n'est pas la première fois que je me retrouve dans cette situation.» Agée de 40 ans aujourd'hui, Lynda se remémore pour nous les pérégrinations qui l'ont amenée à devenir arbitre international de karaté. «Mon premier sport avait été le vo-vietnam. Un jour que je m'étais retrouvée dans une salle, j'avais vu des jeunes s'entraîner au karaté. Immédiatement, j'avais changé de tapis et de sport. Cela s'est passé alors que j'avais 20 ans.» Affiliée au WRB Sidi M'hamed, Lynda n'allait pas tarder à gravir les échelons. «En une année de pratique, j'avais atteint la ceinture noire. J'assimilais très vite ce qu'on m'apprenait sur le tapis. Aujourd'hui je suis 4e dan», nous précise-t-elle. Elle intègre, alors (nous sommes en 1989), l'équipe nationale et entame une carrière internationale très fructueuse avec des médailles par-ci par-là, notamment celles en vermeil. Tout y passe: des couronnes africaines mais aussi méditerranéennes. En 1993, elle s'attaque à la couronne mondiale d'autant que la compétition se déroule en Algérie. «C'était, peut-être, trop grand pour moi mais j'y croyais. Malheureusement, je me suis blessée mais pas au point d'abandonner la compétition. Pourtant mes dirigeants et le staff médical en ont décidé autrement et m'ont empêchée de poursuivre les combats. Je préfère ne pas me souvenir de cette année-là. 1993 a été une année noire pour moi.» C'est au Maroc, à l'issue des championnats d'Afrique de 1994 où elle avait remporté deux médailles d'or en individuel et par équipes, qu'elle a mis fin à sa carrière d'athlète. «Je n'ai pas tardé à me lancer dans le bain de l'arbitrage. Il faut dire que tout en étant athlète, il m'était arrivé d'arbitrer depuis 1988. Je dois ici rendre hommage à un grand monsieur du karaté, à savoir M.Chérif Tifaoui. C'est lui qui a encouragé les filles à se lancer dans ce sport et c'est lui qui m'a orientée vers l'arbitrage. Avec lui, il y a l'actuel président de la fédération, M.Mesbahi, que je voudrais remercier. C'est lui qui a financé le stage de Marseille de 2003 et à l'issue duquel j'ai eu ma licence B d'arbitre international.» Cependant, pour Lynda les choses ne se passent pas normalement, dès qu'il s'agit pour elle de se tourner vers le ministère de la Jeunesse et des Sports. «Dernièrement, il y avait un championnat du monde cadets et juniors à Istanbul en Turquie. Je voulais y aller avec ma fédération pour renouveler ma licence. Or les karatékas algériens n'ont pu se déplacer car le ministère voulait qu'on diminue le nombre des athlètes. Je suis allée en Turquie et c'est moi qui ai financé mon voyage. Aujourd'hui, il y a un stage international qui se profile au Japon. La Fédération n'a pas assez d'argent pour me payer ce voyage. Quant à moi, mes finances ne me permettent pas de me l'offrir. Pourtant, c'est à l'issue de ce stage que seront décernées les licences A d'arbitrage international.» Pour l'instant, Lynda se contente de sa licence B, et vu la situation dans laquelle se débat le karaté, la licence A ne sera pas pour demain.