Le Guide libyen réclame «des compensations pour la période coloniale» et a justifié le «recours au terrorisme des faibles». Il a été attendu sur tous les terrains de controverses, mais pas celui-ci peut-être: le dirigeant libyen Mouamar El Gueddafi a réclamé, vendredi soir à Lisbonne, «des compensations pour la période coloniale» et a justifié le «recours au terrorisme des faibles», à la veille du sommet UE-Afrique qui s'est ouvert, hier, dans la capitale portugaise. La balle a quitté le canon et le Guide libyen mettait dans sa cible, entre autres, la France, où il séjournera, pour une visite d'Etat, du 10 au 15 du mois en cours. C'est mal parti déjà pour un sommet appelé à consacrer le rabibochage entre le Vieux Continent et l'Afrique. Les sujets qui fâchent refont ainsi surface à la suite de cette polémique imprévue qui rappelle aux Européens leur passif colonial. «Les forces coloniales doivent dédommager les peuples qu'elles ont colonisés et dont elles ont spolié les richesses», tempête le Guide de la révolution libyenne, devant un parterre composé de quelque 400 professeurs et étudiants, réunis à l'université de Lisbonne. A en croire Mouamar El Gueddafi, cette question de compensations pour la période coloniale «sera l'un des points principaux du Sommet» Afrique-Union européenne. Les Européens s'étaient déjà montrés allergiques à ce genre de questions, ce qui n'augure rien de bon à propos de l'affaire des compensations pour la période coloniale évoquée par le dirigeant libyen. Les Européens opposent, dès maintenant, leur veto au financement du projet d'Union méditerranéenne proposé par le président français Nicolas Sarkozy. L'on s'interroge dès lors si les pays européens se garderont d'accompagner El Gueddafi dans une telle demande légitime pour les uns et impossible pour les autres. Pour mémoire, Rome et Tripoli sont tout près de résoudre leur contentieux colonial. El Gueddafi est attendu à Rome pour apporter les dernières retouches à un dossier épineux tel celui relatif à la présence coloniale française en Algérie. En fait, un tel processus constitue une première dans les rapports entre anciens colonisateurs et colonisés. Les compensations dues à la Libye lors de l'occupation italienne (1911-1943) doivent être réglées en trois étapes. La première concerne la réparation des exactions commises par les forces italiennes durant leur occupation de la Cyrénaïque et de la Tripolitaine. Ce serait, sans l'ombre d'un doute, un accord inédit dans les annales de la colonisation. C'est pour la première fois qu'une ex-puissance coloniale reconnaît le bien-fondé de telles réparations, en attendant d'autres pays, à l'instar de la France, l'Espagne et le Portugal, pays qui portent encore lamentablement les vieux démons du passé colonial. En 1998, rappelons-le, l'Italie avait exprimé ses excuses pour les «souffrances» infligées au peuple libyen, dans un protocole signé par le chef de la diplomatie de l'époque, Lamberto Dini. L'initiative des Romains n'a malheureusement pas servi de leçon aux Français, qui vantent inlassablement les «mérites» du colonialisme. Les deux autres étapes du traité entre l'Italie et la Libye portent sur la restitution des visas aux 20.000 Italiens expulsés en 1970 de Libye après la prise de pouvoir du colonel El Gueddafi ainsi que sur la coopération économique entre les deux pays. La polémique suscitée par le dirigeant libyen pourrait avoir une onde de choc importante sur la prochaine visite qui le conduira le 10 décembre en France. La France garde encore sur le dos l'étiquette d'ex-Etat colonialiste et refuse, avec la dernière énergie, d'évoquer son passé colonial, du moins pour ce qui est des excuses et du devoir de repentance. Nicolas Sarkozy vient de quitter l'Algérie sans évoquer les sujets qui fâchent et sans montrer son intention de vouloir emprunter la piste italienne. Pour le Sommet de Lisbonne, rien ne semble encore joué d'avance, et pour les ex-colonisateurs et pour les colonisés alors que les débats s'annoncent houleux. L'imprévisible dirigeant de la Jamahiriya est allé encore plus loin, déplorant sur sa lancée le fait que le pouvoir soit confisqué par les «superpuissances» et ait justifié le «recours au terrorisme» des faibles. Selon le «Bédouin», tel que les Européens préfèrent le surnommer, «les superpuissances ont violé la légitimité internationale, le droit international et les Nations unies et exécuté leurs décisions en dehors de ce cadre et donc il est normal que les faibles aient recours au terrorisme». Et de renchérir, d'un ton qui annonce les grandes catastrophes, qu'«aujourd'hui, tous les peuples ont peur. Après la Seconde Guerre mondiale et la création de l'ONU, nous pensions que nous allions vivre en paix, mais les espoirs que nous avions mis dans l'ONU sont en train de disparaître». Le dirigeant libyen réclame, en outre, que le pouvoir soit transféré à l'Assemblée générale de l'ONU. Sept ans après un premier sommet au Caire, Européens et Africains se retrouvent à Lisbonne en cette fin de semaine pour, espèrent-ils, relancer sur un pied d'égalité une relation en panne, à l'heure où l'Afrique suscite l'intérêt croissant des géants de l'Asie, en particulier de la Chine. Ce deuxième Sommet s'avère être sans impact sur les relations Afrique-Europe, puisque fondées sur un simple intérêt égoïste des Européens. Les Africains sauront-ils, cette fois-ci, négocier une plate-forme crédible et concrète? Difficile d'y répondre.