La conception européenne de sa politique africaine pèche par trop de paternalisme. La rencontre au Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Afrique et de l'UE à Lisbonne, hier, aura eu le mérite de clarifier les stratégies communes de développement et de coopération entre les deux continents. Car, si les deux continents disposent d'un nombre considérable d'instruments et d'institutions de coopération, ils constatent aujourd'hui que l'absence d'une stratégie globale, cohérente avec des délais, des évaluations et corrections lorsqu'il le faut, n'est pas étrangère à tous les échecs des mille et un projets conçus à ce jour. De la première rencontre de ce type au Caire en 2000 à celle d'hier à Lisbonne, à décharge des deux continents leurs tentatives de construire, chacun de son côté, des politiques spécifiques de développement. Depuis l'année 2000, l'Afrique s'est dotée au plan économique d'un plan de développement, le Nepad, et d'un instrument d'évaluation dit Mécanisme d'évaluation par les pairs, et sur le plan politique a restructuré la défunte OUA en une Union africaine (UA), dotée d'un Exécutif, la Commission africaine. Ces moyens institutionnels permettront une meilleure lisibilité des politiques de coopération intra-africaines d'abord, et avec le reste du monde ensuite. De son côté, l'UE n'a pas été avare de propositions, discutables pour des raisons de méthode et de conception, et dont les plus importantes ont été consignées lors du Sommet européen de décembre 2005. L'UE avait alors conçu une stratégie et des mesures de coopération valables jusqu'en 2015, contenant entre autres, de nouveaux accords de partenariat économiques (APE) censés remplacer au 1er janvier 2008, l'accord de Cotonou qui régit, à ce jour, la coopération UE-Afrique. Pourtant, l'Afrique a émis bien des réserves sur ces APE. Elle voit dans leur application le démantèlement de leurs protections douanières et la disparition du régime de préférence tarifaire pour leurs exportations vers l'Europe que leur garantissait l'accord de Cotonou. Pourtant, malgré les réticences africaines, malgré le retard dans leurs négociations, l'UE a fixé d'une manière unilatérale la fin de l'accord de Cotonou qui regroupe les 75 pays d'Afrique, Caraïbes et Pacifique, dits pays ACP, (l'Algérie, le Maroc, la Tunisie, la Libye et l'Egypte ne font pas partie de l'ACP) à la fin de ce mois de décembre, et le début de l'application des APE en janvier 2008. La logique européenne est simple: face à la mondialisation et au projet d'adhésion de l'Afrique à l'Organisation mondiale du commerce (OMC), il faut adapter les règles communes à tout le monde. Face à la résistance des pays africains, l'UE tente de nuancer et propose des négociations par groupe régional économique, ou communauté économique régionale. Si l'on ajoute les accords d'association UE - pays nord-africains, ainsi que la Nouvelle politique de voisinage (PEV), il n'est pas facile de structurer une stratégie claire avec des objectifs quantifiés. L'autre difficulté tient au fait que l'UE a conçu et décidé de sa stratégie à elle, pour l'Afrique, sans consulter les Africains. Un peu sur le modèle de la PEV. La conception européenne de sa politique africaine pèche par trop de paternalisme. S'il est vrai que les Africains ne sont pas encore sortis de l'état structurel de sous-développement, l'entêtement de l'Europe à vouloir concevoir seule, sans consultations et négociations sérieuses, parfois même à la limite de l'assistanat, sa politique de coopération avec l'Afrique, n'arrangera en rien les choses. Les perversions politiques de beaucoup de pays africains, telles la corruption, la violation des droits de l'homme, les guerres...continueront de se nourrir de l'état de pauvreté et de misère de leurs économies. Ce que souhaite l'Afrique, c'est d'être associée étroitement aux négociations de toutes les politiques économiques européennes qui la concernent. Comme l'a déclaré le Premier ministre portugais José Socrate à l'ouverture des travaux de ce deuxième Sommet: «Nous voulons non pas une stratégie de l'UE pour l'Afrique, mais une stratégie conjointe, pour la première fois de l'histoire.» Tant mieux.