Le jour où des «gavroches algériens» ont défié le système colonial, à mains nues. Vendredi 9 décembre 1960, le Front de l'Algérie française, le FAF, déclencha une grève générale. Elle est largement suivie par la population européenne. Le général de Gaulle avait la prédominance sur la politique française de l'époque. M.Rédha Malek, invité du forum d'El Moudjahid, hier, et un des acteurs des négociations d'Evian, s'en souvient. Il va au-delà des événements. «Il faut analyser l'histoire philosophique de ce pays», déclare l'ex-chef de gouvernement. «Chaque année de l'histoire de la guerre de Libération a eu son événement majeur», insiste-t-il. 1954, le 1er Novembre 1955, les événements du Nord constantinois...Et il enchaîne jusqu'aux manifestations du 11 Décembre 1960. Les Européens qui continuaient à manifester ont envahi le centre-ville d'Alger. Ils se sont heurtés aux forces de l'ordre. Des barricades sont érigées à la hâte. Les cocktails Molotov pleuvent. Les ultras font pression sur les commerçants algériens. Ils leur donnent l'ordre de fermer leurs magasins en signe de solidarité avec les manifestants européens. Ils se voient opposer un refus catégorique. Survient un jeune pied-noir visiblement très excité. Il sort son arme et menace de jeunes Algériens. C'est l'étincelle. La fierté prend un coup. C'est décidé, s'il faut mourir autant mourir debout. L'organisation est spontanée. Il faut mettre fin aux humiliations, aux brimades et à ce système qui a fait de leurs aînés des sous-hommes. «Ce fut un souffle nouveau à la restructuration de la guerre de Libération», a confié M.Rédha Malek. «On pensait les avoir liquidés dans les Aurès, les voilà qu'ils ressurgissent ailleurs», s'est écrié, déconfit, le général de Gaulle. A la révolte de Belcourt font écho des clameurs qui montent des quartiers avoisinants. Le Clos Salembier, Diar El Mahçoul, Diar Essaâda, les hauteurs d'Alger s'embrasent. A Bab El Oued, El Harrach, Kouba, Bir Mourad Raïs, La Casbah...la colère monte. Des voitures sont incendiées, les commerces européens saccagés...On veut effacer toute trace de ce système odieux qui a bridé le peuple algérien. «Les événements ont fait tache d'huile et ont touché les grandes villes, Oran, Constantine et Annaba», rappelle l'ancien chef de gouvernement. L'emblème national sort d'on ne sait où. «C'est une forêt de drapeaux qui a inondé les rues algériennes», a témoigné M.Rédha Malek. La peur a changé de camp. Les slogans aussi. Aux cris des Européens qui scandaient «Algérie française» s'est substituée l'Algérie algérienne du général de Gaulle. Les Algériens ont rectifié le tir, réajusté l'histoire, ils ont crié «Algérie, indépendante, Algérie musulmane, vive le FLN, vive Ferhat Abbas». Ce qui a fait dire à Rédha Malek: «Le peuple algérien venait de témoigner son adhésion au mouvement de libération.» La Révolution violente venait de commencer. Les militaires français tentaient en vain, de faire barrage aux manifestants. Les youyous des femmes les transcendaient. Un jeune garçon faisait fièrement face aux forces d'occupation. Il brandissait l'emblème national. Un officier de l'armée française le lui enleva. Il réussit à le lui subtiliser. Dans sa course folle pour tenter de rejoindre les manifestants, il fût fauché par une rafale de mitraillette. Il tournoya sur lui-même. L'emblème national lui enveloppa le corps. Il tomba à terre. Il s'appelait Farid Magraoui, il venait d'avoir tout juste 10 ans. Sa vie comme un précieux souffle d'oiseau, venait de s'éteindre. L'Algérie venait de signer son inévitable accession à la liberté.