En cette belle matinée de vendredi, des enfants insouciants s'amusent sur un terrain boueux à Oued Ouchaïeh dans la commune d'El Harrach. Un long chemin traverse ce terrain. C'est la rue «E» qui mène vers une maison blanche de trois étages, qui focalise subitement l'objectif des caméras: c'est là que réside la famille du kamikaze, Larbi Charef, qui s'est fait exploser mardi passé devant le siège du Conseil constitutionnel. Avec beaucoup d'appréhension, nous avons emprunté quelques marches des escaliers de «la maison blanche». Nous restons un bon moment devant la porte, mais personne ne répond. Quelques minutes plus tard, un garçon de 12 ans ouvre la porte et nous lance une série de questions: «Qui êtes-vous? Que voulez-vous? Après qui cherchez-vous?» Et d'enchaîner: «Mon grand-père est malade. Mon père est au marché. Mes cousins sont tous sortis.» Soudain, une vieille d'une soixantaine d'années nous apprend que la famille de Larbi a déménagé à Aïn Naâdja, une commune dans la banlieue sud-est de la capitale. «Cela fait six ans qu'ils ont déménagé à Aïn Naâdja», annonce-t-elle. Avant de quitter les lieux, la vieille nous donne quelques détails concernant le kamikaze. «Avant de déménager à Aïn Naâdja, Larbi insistait pour que toutes les femmes de la maison mettent le foulard. Il conseillait à tous les membres de la famille de suivre le chemin d'Allah et de se conformer à la Sunna.» Nous quittons ce quartier enclavé de la capitale où les eaux usées traversent les ruelles et les montagnes d'ordures qui constituent le décor du quartier. Une vingtaine de minutes plus tard, les parents de Larbi nous «accueillent» à Aïn Naâdja. C'est dans une autre maison, dont les travaux de construction ne sont pas achevés, que Larbi et sa famille habitent. C'était difficile de s'entretenir avec le père M.C. et ses deux fils. Une rude épreuve. «Je vous recommande de quitter sur-le-champ la maison», nous avertit le petit frère de Larbi, d'un air agressif. Le père M.C. intervient et raconte avec beaucoup d'émotion et de sagesse: «Comme tous les Algériens c'est avec beaucoup de regret et de chagrin que j'ai appris la mort de mes concitoyens. Mon fils n'est rien devant la vie des dizaines de victimes. Il n'est pas le premier ni le dernier.» Doublement triste, le père de Larbi traumatisé s'excuse auprès des familles des victimes. On retrouve la même émotion chez son grand frère. «Il était libre de faire ce qui lui paraissait le mieux. Il a choisi ce chemin, il l'assume seul», déclare-t-il avant d'ajouter: «Beaucoup d'Algériens ont perdu la vie à cause des attentats. Larbi, mon frère, n'est pas un cas isolé. On ne peut pas changer le monde. La vie continue», murmure-t-il. Le père révèle que son fils Larbi était diplômé. «Il a arraché son baccalauréat en prison. Avant cela, il avait travaillé dans une usine de produits pharmaceutiques. A sa sortie, il a connu le chômage pendant 8 mois.» Tout au long de sa période de chômage, Larbi n'a pas manifesté de signes indiquant qu'il voulait rejoindre le maquis. «Il était venu me voir pour me dire qu'il quittait la maison. Ce jour-là, il m'a annoncé qu'il avait trouvé du travail ailleurs. Il avait, donc, plié bagage et arrangé tous ses papiers. Je ne l'ai plus revu depuis», se souvient le père. Son grand frère atteste encore: «Depuis qu'il a quitté la maison, nous avons perdu tout contact avec lui.» Un jeune de la même cité, occupé à bricoler sa Peugeot précise: «Je connais très bien Larbi. C'est un enfant de ma cité. Nous avons passé ensemble notre jeunesse. Franchement, j'étais surpris d'apprendre qu'il était l'auteur d'un attentat.» «Ici tout le monde peut témoigner du calme, du sérieux et de la générosité de Larbi», souligne le bricoleur mécanicien. Il ajoute que son copain de quartier a brusquement changé de comportement. «Depuis plus de sept ans, Larbi s'est isolé de nous. Il se faisait de plus en plus rare dans la cité et ne nous fréquentait plus.» «J'ai entendu dire qu'il avait été relaxé, mais je n'ai pas eu de contacts avec lui», a-t-il affirmé. A quelques mètres de la maison blanche, un jeune adossé à la porte de sa maison, regarde jouer sa soeur, un morceau de pain et une tomate à la main. «Larbi n'est pas de ma génération. Il me dépasse de quelques années. Mais je le connais. Je discutais avec lui. Il nous conseillait de suivre le chemin de Dieu. Je le trouvais un peu introverti», confie ce jeune de 25 ans, chômeur. Selon ce dernier, Larbi avait de «bonnes relations» avec tout le monde. Il s'amusait comme il voulait et comme il pouvait. Il conseillait aux gens du quartier d'arrêter de fumer. Il tentait d'expliquer le Saint Coran aux jeunes. Il portait le kamis. Il était barbu. Il appliquait la Sunna. Il voyait d'un mauvais oeil les filles qui ne portaient pas le foulard. Comment devient-on kamikaze? Quels en sont les critères? Quelles sont les raisons qui incitent à le devenir? Larbi Charef, celui qui s'est fait exploser devant le Conseil constitutionnel à Ben Aknoun mardi dernier, remet en question le stéréotype du kamikaze. Comment peut-on cerner, ainsi, cet individu? Comment les autres personnes le définissent-elles? Que faisait-il dans la vie? Dans quel milieu social a-t-il été élevé? Qui sont ses amis? Bref, à quel profil répond-il? Le père et le frère de Larbi le racontent. Si les amis et les enfants du quartier où réside ce nouveau kamikaze ont apporté leurs témoignages, le mystère reste entier sur ses réelles motivations. Larbi n'est pas le seul kamikaze issu de cette région. Avant lui, le jeune Nabil, 15 ans, s'est fait exploser à la caserne des gardes-côtes à Dellys. L'autre kamikaze, Mouadh Ben Jabel, qui s'est fait exploser devant le Palais du gouvernement le 11 avril, était également originaire de Bourouba, El Harrach. La région d'El Harrach reste la zone la plus défavorisée de la capitale. On y rencontre tous les maux sociaux. La situation sociale de ses habitants est plus que précaire.