Comment peut-on s'exiler dans son propre exil? Question simple...et complexe, - l'insolite de cette réflexion court dans toutes les pages de l'ouvrage Délit de survie (*) de Saïd Smaïl. L'auteur est né en 1936, à Draa Ben Khedda. Sa production d'émissions théâtrales l'a fait connaître en 1960 à ses auditeurs de «Radio Alger» (Emissions de langue arabe et kabyle [Elak]). Après 1962, il est chef de Centre de la Radiotélévision Algérienne (RTA) à Tizi Ouzou. En 1969, il entre franchement dans le journalisme en se consacrant à la page internationale de Révolution Africaine, puis à El Moudjahid en qualité de responsable du bureau régional de ce grand quotidien national à Tizi Ouzou, jusqu'à son «licenciement arbitraire, écrit-il, du journal El Moudjahid en 1994», puis, plus tard, lorsque le quotidien L'Expression est fondé, il y tient une chronique quelque temps. Pourtant, malgré sa longue expérience de journaliste, ce qui retient davantage l'attention ce sont les ouvrages qu'il a fait éditer à partir de 1988 à Alger et, durant son exil, non choisi, à Paris. Dans ce domaine, la personnalité de l'écrivain l'emporte sur celle du journaliste. Parmi ces ouvrages, émergent tout spécialement Mémoires torturées (une réédition en deux tomes, chez l'Harmattan, Paris, 1996) et L'Île du Diable (éd. Barzakh, Alger 2003). Il faut dire que le sujet traité dans L'Île du Diable est tout simplement une fantasmagorie sur un éden perdu - mais a-t-il seulement existé, cet «éden»? J'y vois un contre-profil d'un pays dont la gloire semble avoir été déjà émoussée comme un sentiment fort d'amour et de liberté. Et là, dans cette Île du Diable, tout est débridé, laissant la voie non plus à l'imaginaire, mais à la réalité sauvage, amère, pleine de la rancoeur et du regret d'un citoyen sevré de bonheur. Et c'est aussi l'objet du présent ouvrage. Ce délit de survie est, en effet, un long pamphlet qui n'autorise aucun rêve de littérature, car il y a trop de douleur à peindre et l'on ne sait, après coup, si l'analyse suffit au juge pour être juste et à la victime pour se venger. Certes, il n'est pas question de vengeance, ici, mais bien la mise à nu de tout ce qui dérange l'organisation, la mise en place et le fonctionnement de la démocratie. Quelqu'un disait: «La cruauté se multiplie par la foule: et c'est par là que la foule se porte à assister à des supplices dont elle a peur.» Et pourtant, il faut se débarrasser de cette atroce vésanie que constitue le mépris, «el hogra», chez nous. C'est de ce point de vue que le récit autobiographique de Saïd Smaïl touche: il est vraisemblable, il est dur. Dur et vrai. Il faut le supporter si la curiosité intelligente s'y met pour comprendre les desseins de l'épine d'une rose mal épanouie. Une rose?...Pensez-vous! la solitude n'est pas le paradis! Saïd Smaïl se raconte; sa solitude face à l'exil n'est pas le paradis. Privé de tout, abusé de tout, le voilà personnage d'une vie qu'il n'avait jamais imaginée ni pour lui-même, -ni pour d'autres, du reste. Il énumère tout ce qui pousse à haïr: la déception, le mensonge, la délation, la trahison et, au-dessus de tout, cet immondice «de graves dérives», et aussi hélas! la triste importance de «cet infantilisme politique: "ôte-toi que je m'y mette".» Alors il faut survivre, si tant est que l'on puisse survivre à l'imparfait qui est un temps bien politique en nos mortels climats. Mais qui ne sait ce paradoxe terrifiant: la maturité du jugement s'enseigne dans l'expérience de toute une vie? Eh oui! toute une vie!...Saïd Smaïl a-t-il raison d'avoir écrit Ce délit de survie? A-t-il tort de se mettre en scène? En tout cas, c'est par cette tentative de se dire, qu'il dit aussi les autres. Le drame, le drame terrible, est «lorsque la parole c'est du vent, et la foi des apparences», lorsque jamais personne ne dit rien et lorsque survivre c'est un délit. (*) DELIT DE SURVIE de Saïd Smaïl Casbah-Editions, Alger, 2007, 170 pages.