Alors que la Coordination intercommunale de Béjaïa appelle à une marche le 20 août prochain dans la localité historique d'Ifri Ouzellaguène, le ministre de l'Intérieur était, hier, à Tizi Ouzou où il a prévenu ceux «qui se sont mis hors la loi que force reviendra à la loi». Profitant de la cérémonie d'installation du nouveau wali de Tizi Ouzou, Hocine Ouaddah en remplacement de Ouali Abdelkader, le ministre de l'Intérieur a fait passer quelques messages explicites à l'égard de ceux qui entretiennent les troubles en Kabylie. Evoquant le changement des walis, il a souligné que cela ne devait pas «être interprété comme une sanction ou une faiblesse de l'Etat (...) Ce changement doit être perçu comme une réaffirmation de la volonté du Président de la République de créer un environnement favorable pour un dialogue franc, transparent et responsable avec la participation de tous ceux qui oeuvrent réellement pour le développement de la wilaya». Réitérant les vertus du dialogue, solution à toute crise, Yazid Zerhouni n'a pas manqué de critiquer «ceux qui ont rejeté le dialogue» durant les événements de Kabylie, sans citer ces parties : «Ceux qui n'ont rien apporté de concret. Ceux qui veulent noyer leur défaillance et veulent se refaire une popularité à la veille d'échéances électorales, et ceux, enfin, qui veulent un pourrissement de la situation.» Des critiques à plusieurs niveaux, qui semblent viser aussi bien les Coordinations des ârchs de Tizi Ouzou, les comités populaires de Béjaïa, mais aussi et surtout les partis actifs en Kabylie, dont le FFS et le RCD, le MCB et les autonomistes proches de Ferhat Mehenni et, à un degré moindre, le PST. Dénonçant les appels à la violence de ces parties, surtout que de nouveaux incidents ont repris en Kabylie ces trois derniers jours, Zerhouni a déclaré que «ces gens-là, qui appellent à la destruction des édifices publics et du mobilier urbain, ce sont ceux-là mêmes qui ont appelé à l'organisation d'une année blanche en scolarisant, ailleurs, leurs enfants». De la bouche de Zerhouni, cet exemple évoque, en premier lieu, certains notables puissants et industriels influents de Kabylie, qui avaient contribué, par un discours extrémiste et un apport logistique, à souffler sur la braise, au moment où le Président Bouteflika décidait de l'organisation de deux sessions du baccalauréat. Concluant sur le développement local, une des causes profondes du malaise socio-économique de cette wilaya, qui compte plus d'un million d'habitants, le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales dira que Tizi Ouzou bénéficie d'une enveloppe financière de 12 milliards de dinars et demeure une wilaya qui peut surmonter son retard dans le développement, car «elle possède un potentiel de moyens humains et matériels à même de relancer son développement». Il est évident que ces annonces tranchées ne seront pas pour plaire aux différents protagonistes en Kabylie. Cette cérémonie de passation de consignes a été boycottée par les élus FFS de la wilaya de Tizi Ouzou qui, dans un communiqué, indiquent que celle-ci «obéit à une manoeuvre du pouvoir qui veut faire croire à la population qu'il aurait pris des mesures contre les responsables de la tragédie que nous vivons depuis avril dernier, ce que nous récusons». Le mandat du nouveau wali semble mal parti, du fait de la résistance persistante des élus de la wilaya qui ne comptent pas réamorcer le dialogue avec ce nouveau représentant de l'Etat. Ce changement de wali intervient ainsi dans une conjoncture cruciale pour le mouvement de protestation en Kabylie qui se retrouve à la croisée des chemins. Les observateurs politiques s'interrogent sérieusement sur les limites atteintes par ce mouvement, surtout après l'échec de la manifestation du 8 août à Alger. Réunie à Akbou, la Coordination intercommunale de Béjaïa, divergente avec la Coordination des ârchs, daïras et communes (Cadc) de Tizi Ouzou, se dit «déterminée, plus que jamais, à aller de l'avant et à poursuivre son noble combat pour faire aboutir la plate-forme d'El-Kseur». Mais la question de savoir pourquoi les différents partis refusent toujours le dialogue avec le gouvernement, même à un niveau local, demeure lancinante. Cette intransigeance risque de provoquer l'asphyxie progressive de la contestation, qui est déjà mortellement entamée par les divisions et le fractionnement. Se sachant «condamné» à entamer le dialogue ou, du moins, un début de négociations, le mouvement de protestation ne semble pas mesurer les conséquences de son immaturité politique et relègue cette question à plus tard. Priés, une nouvelle fois, lors du sit-in sur la route de Naciria, de déléguer quelques membres de la Coordination pour être escortés à Alger pour des audiences à la présidence ou au palais du gouvernement, les ârchs ont refusé cette option sous prétexte que le mouvement était de nature horizontale et, par conséquent, ne pouvait déléguer personne. Ces tentatives d'amorce de dialogue, officieux, secret ou public, ont toute été refusées, alors que la rue kabyle replonge dans la violence. La responsabilité des uns et des autres, en cas de nouvelles victimes, lors de ces affrontements, est pleinement engagée et seule «la force de la loi», comme a prévenu Zerhouni, risque de devenir le canal d'échanges entre le pouvoir et les ârchs.