L'Algérie et sa jeunesse ne pourront rester étrangères aux mutations et bouleversements qui «travaillent» le monde. La jeunesse algérienne vit, à l'instar de la communauté nationale et internationale, une phase historique d'une très grande importance. Il y a un an, j'avais souligné dans votre quotidien: «Nous voyons sous nos yeux les effets de la mondialisation ébranler le statu quo en générant d'énormes convulsions économiques, sociales, culturelles et, par conséquent, politiques. Des gouvernements faibles, des économies retardataires, différents intégrismes religieux et la poussée de la jeunesse se conjuguent de plus en plus, dans certaines régions du monde, pour créer une dynamique de tempête. Durant les prochaines années, l'ordre international va connaître une période de mutations sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale. L'Algérie et sa jeunesse ne pourront rester étrangères à ces mutations et bouleversements». Le terme «jeunesse» est utilisé par beaucoup de pays pour désigner des personnes qui n'ont pas l'âge de jouir d'un égal traitement civil, souvent référé par la loi comme «l'âge de majorité». Dans un grand nombre de pays, les jeunes sont considérés comme adultes à partir de 18 ans. En Algérie, comme dans le reste du monde, la jeunesse ne constitue pas un groupe homogène ni par sa situation économique et sociale, ni même par l'âge. Depuis 1985, le groupe d'âge de 15 à 24 ans est utilisé par les Nations unies pour définir la jeunesse. Toutes les statistiques sur la jeunesse publiées par le système des Nations unies sur la démographie, l'éducation, l'emploi et la santé sont basées sur cette définition. Néanmoins, l'article 1 de la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant, définit comme «enfants» les personnes jusqu'à l'âge de 18 ans. Ceci était intentionnel, en l'absence d'une convention des Nations unies sur les droits de la jeunesse, l'on a cherché à donner protection et droits à un groupe d'âge le plus large possible. I-Les jeunes en Algérie La population algérienne estimée à 33.333.216 habitants en juillet 2007, devrait être de 35.637.957 en 2010 avec un taux de croissance démographique de 1,5% et une espérance de vie de 75,3. En 1998, le recensement général de la population montre, pour la première fois depuis l'Indépendance, que les moins de 20 ans représentent moins de la moitié de la population globale, soit 48,27%. Les enfants de moins de 5 ans, estimés à 19,8% en 1966 et à 18,8% en 1980, ne sont plus que de 10,9% en 1998. A ce niveau, ce qui retient l'attention, c'est la progression du nombre de personnes en âge de travailler (les 20-59 ans), qui passe de 35,94% en 1966 à 45,14 en 1998. Malgré une croissance économique forte de 6,4% en 2003 et d'environ 5% en 2004 et 2005, le marché du travail n'est toujours pas en mesure d'absorber le stock des chômeurs et la demande additionnelle annuelle d'emploi. En 1998, 58,3% des Algériens vivaient en ville, soit 6 Algériens sur 10. Ils étaient 4 sur 10 en 1977 et 1 sur 3 en 1966 à vivre en ville. De 1987 à 1998 les villes de plus de 100.000 habitants n'auraient enregistré qu'un accroissement de 1,9% pendant que dans les villes de 10 à 20.000 habitants, l'accroissement n'a été que de 5,75% et de 12,72% dans les villes de 5 à 10.000 personnes. II-Une situation globalement dégradée. La situation des jeunes Algériens s'est globalement dégradée comme à travers le monde et de façon particulière dans les pays en développement. Cette dégradation s‘explique, d'abord, en raison d'une diminution importante du financement public dans les domaines de l'éducation, de la santé et du bien-être social des jeunes (culture, loisirs et sports) du fait de la mise en oeuvre de politiques de réajustement structurel dans lesquelles le rôle et l'engagement financier du secteur public se sont notablement réduits. En Algérie, comme dans le reste du monde, les jeunes ont des aspirations très concrètes: accès égal à une éducation de qualité, qui les motive et les intéresse, accès à l'emploi et à des tâches qui fassent appel à leur sens de responsabilité, possibilité d'expression civique, culturelle et artistique, participation démocratique à la résolution des problèmes, tant au niveau local que national. Il va sans dire que ces aspirations ne sont, aujourd'hui, que très partiellement satisfaites. L'insertion dans le monde du travail constitue un des problèmes les plus critique auquel la jeunesse algérienne est confrontée. A l'image d'un certain nombre de pays industrialisés et de l'ensemble des pays en développement, le chômage et le sous-emploi semblent s'installer durablement en Algérie. Si des politiques adéquates ne sont pas mises en oeuvre rapidement, le chômage des jeunes risque d'avoir, à moyen terme, des conséquences graves, voire dangereuses pour la stabilité et le développement du pays. La multiplication des jeunes et enfants de la rue est un des indices probants de la progression alarmante de l'exclusion et de la paupérisation rampante de cette frange de la population. Récemment, le président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche a signalé, à l'occasion de la célébration de la Journée mondiale des droits de l'Homme, que quelque 500.000 enfants, dont 200.000 scolarisés, sont exploités en Algérie, dans différentes activités. Il précisera que ces enfants travaillent en dehors des cours et durant les vacances. L'effet déstructurant du chômage en termes de marginalisation sociale est particulièrement préoccupant en ce qui concerne les jeunes; notamment, ceux qui sont à la recherche d'un premier emploi. L'anxiété, le désarroi, le manque de perspectives conduisent souvent un grand nombre de jeunes au découragement et à la perte d'espoir, à la frustration et à la violence. La tentation d'échapper à leur souffrance, à leur écrasante et trop pénible quotidienneté, les conduit vers un comportement asocial, à l'utilisation de drogues ou, depuis quelque temps, à la tentation de fuir leur désespoir en côtoyant la mort «toutes voiles dehors». Lorsque l'on se penche sur l'état de la jeunesse en Algérie, ces dernières années, ce qui retient notre attention, c'est l'absence, malgré la gravité de la situation, d'une stratégie concernant cette catégorie de la population pour, d'une part, appréhender sérieusement les problèmes liés à sa vie, ses comportements et ses aspirations et, d'autre part, l'associer plus directement à la réalisation des grands chantiers nationaux tant aux niveaux éducatif, culturel, économique que politique. La vulnérabilité de la jeunesse est, en partie, amplifiée par la position toute particulière qu'elle occupe au sein d'une société qui n'arrive pas à sortir d'une crise multidimensionnelle. Les jeunes sont au coeur d'enjeux politiques, de grands défis et de tensions sur lesquels ils n'ont, bien souvent, aucune prise; à titre indicatif, l'on peut citer: - La tension entre le long terme et le court terme: Les «politiques» actuelles sont formulées pour parer aux urgences, alors que beaucoup de problèmes rencontrés par la jeunesse exigent l'adoption de stratégies à long terme et élaborées en concertation avec les jeunes. - La tension entre la tradition et la modernité et un présent aux déficits importants: L'absence d'un véritable projet de société, l'éclatement de la famille, la perte des repères identitaires et culturels, l'oppression brutale de l'échec et du mal-vivre, les profonds traumatismes du terrorisme sont autant de points qui nous interpellent: comment s'adapter sans se renier, comment construire son autonomie dans le respect de la liberté et de l'évolution de l'autre? Comment maîtriser le progrès et le développement durable? Comment parvenir à un équilibre social? Comment relever le défi des nouvelles technologies de l'information et de la communication? Comment redonner du rêve et de l'espoir à la jeunesse? Autant de questions dont les réponses doivent découler d'un enjeu national stratégique. - La tension entre le spirituel et le matériel: Les jeunes ont besoin d'idéaux et de repères éthiques. Dans un monde fortement marqué par l'incertitude, il est plus que nécessaire d'aider les jeunes à acquérir des principes et des repères solides fondés sur des valeurs qui soient le résultat d'un processus de réflexion et d'engagement personnel. - Les tensions entre les multiples sources de valeur: Les jeunes vivent dans une société changeante et pluraliste dont les sources de valeur sont multiples et véhiculées non seulement par la famille, l'école, les religions mais aussi par les médias, les organisations sportives et culturelles, les partis politiques etc. Les jeunes oeuvrent en fonction de valeurs souvent convergentes mais aussi, par moment, radicalement contradictoires. - La tension entre l'universel et le singulier: Les processus de globalisation sont aujourd'hui irréversibles dans les domaines de l'économie, de la culture, de la communication, alors que les particularismes s'accentuent. Dans ce cadre, les jeunes doivent relever le défi de l'ouverture mais également celui de contribuer au développement de leur propre culture. - La tension entre le global et le local: Comment préparer le jeune Algérien à devenir progressivement «citoyen du monde» sans perdre ses racines. III- Nécessité de nouvelles formes et modalités de participation. En soulignant devant les walis, en novembre 2006, que la jeunesse «met en jeu l'avenir de la nation tout entière et nous interpelle sur notre capacité à valoriser le potentiel d'espérance qu'elle incarne» et que «nous avons aujourd'hui besoin de renouveler notre regard sur la jeunesse, de modifier notre attitude à son égard et d'adopter de nouvelles approches et de nouvelles méthodes dans la prise en charge de ses attentes», le Président de la République a, non seulement souligné l'importance et la gravité du problème, mais signifié, également, la nécessité de renouveler les approches et les politiques vis-à-vis des jeunes. Le succès d'une opération aussi vitale pour le pays ne peut être attendu d'actions conjoncturelles souvent orchestrées avec le soutien d'apparatchiks dont la qualité première est de veiller, d'abord, non pas aux attentes de la jeunesse, mais au sens «des vents dominants». Pour ce faire, quatre principes me semblent incontournables: - Il faut être réellement à l'écoute des jeunes si l'on veut être écouté par eux. - Il est essentiel de mobiliser les jeunes pour les impliquer dans une réflexion responsable sur l'avenir tout en intégrant leur vision dans le processus de prise de décision des responsables politiques. -Il est indispensable, pour éviter le décalage qui se crée souvent entre le discours officiel sur les jeunes et les préoccupations véritables de ces derniers, d'encourager la participation active et démocratique des jeunes à la définition et à l'exécution des projets les concernant, en valorisant leur créativité. Cette participation démocratique et active s'impose comme une condition sine qua non de toute stratégie en faveur de la jeunesse. D'ailleurs, comment prétendre au développement d'une nation si sa majorité la plus dynamique est exclue? Ignorer la gravité du fossé actuel avec les forces vives de la nation, c'est opter, non pas pour l'avenir, l'espoir, le développement durable et le progrès, mais pour la stagnation et la résignation nourries, ponctuellement, par «une agit-pro» stérile, voire dangereuse avec pour fondements l'opportunisme, des valeurs désuètes et une authenticité «soporifique». - En plus d'une volonté politique et d'un solide engagement visant à élaborer une politique nationale en faveur de la jeunesse, un certain nombre d'éléments de base devront être clarifiés. La politique nationale de la jeunesse doit être le fruit d'un accord permettant à la fois de répondre aux besoins et aux aspirations des jeunes et de reconnaître leur potentiel comme cadre pour le développement des jeunes. Cette politique demeurera purement symbolique faute d'objectifs clairs à long terme et d'un rôle de coordination accepté par tous. Elle doit refléter une approche cohérente, intégrée, multisectorielle et interministérielle. Fondamentalement, il convient de souligner que la politique nationale en faveur de la jeunesse doit être une politique de l'Etat et non pas une simple politique gouvernementale. Renouveler notre regard sur la jeunesse impose de la replacer à la place qui lui revient, d'abord, au coeur de la Constitution, ensuite des Codes de wilaya et communal. Renouveler notre regard sur la jeunesse suppose que nous devons bannir définitivement certaines méthodes, dont la prime à la cooptation, le clientélisme et la médiocrité. Il faudra également accepter un débat sans tabous sur l'ensemble des points la concernant. C'est à ce prix que la jeunesse sera un indicateur très fiable de la vitalité de l'Algérie d'aujourd'hui et de demain. (à suivre) (*) Le titre de cette étude est de la rédaction (**)Consultant, ancien responsable de l'éducation préventive et du sport à l'Unesco.