Avec cette dixième session ordinaire, l'Union africaine est appelée à franchir une nouvelle étape marquée par le départ du premier président de la Commission africaine. L'Afrique, qui ploie déjà sous le poids des conflits et de crises multiformes, aura encore à faire avec la nouvelle crise qui surgit au Kenya et qui menace le pays d'une guerre civile. Au moment où l'Afrique se félicitait des progrès accomplis en Côte d'Ivoire et au Congo démocratique dans le sens d'une solution définitive des crises qui les ont secoués occasionnant beaucoup de dégâts humains et matériels, voilà qu'une tempête se lève du côté de Nairobi après les résultats contestés de l'élection présidentielle du 27 décembre dernier au Kenya. De fait, la gravité de la crise politique qui secoue le Kenya risque même d'éclipser les autres fronts qui mettent à mal la stabilité du continent, comme les cas du Darfour, de la Somalie, les rebellions au Tchad et en République centre-africaine et, à un degré moindre, au Niger. Au Kenya, plusieurs personnalités politiques africaines et internationales, dont le dernier en date est l'ancien secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, ont fait le voyage de Nairobi pour tenter des médiations entre les deux parties en conflit, sans qu'ils puissent trouver une issue jusqu'ici acceptable pour les deux parties. Les discussions des ministres des Affaires étrangères africains -qui préparent le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union africaine, qui s'ouvre aujourd'hui- se sont focalisées sur le cas du Kenya, reconnaissant par là la gravité de la situation et les dérapages qui pourraient s'ensuivre. Revenant sur cette affaire devant la presse, un membre de la Commission africaine a indiqué que «l'affaire kenyane est grave et on ne peut pas juste entériner ce que veut nous présenter le régime du président Mwai Kibaki», affirmant: «Il n'y aura pas de blanc-seing donné au gouvernement durant ce sommet». Evidemment, le ministre kenyan des Affaires étrangères, Moses Wetangula a, pour sa part, tenté de minimiser le problème, ce qui n'a pas été l'avis d'autres délégations qui insistaient au contraire pour que le cas kenyan soit examiné en priorité, d'autant que l'explosion de violence que connaît le pays serait motivée par une énorme fraude électorale qui a permis au président sortant, Mwai Kibaki, d'être réélu. En fait, à Addis-Abeba, tous les regards seront rivés sur le président en exercice de l'UA, le Ghanéen, John Kufuor, qui a fait le déplacement de Nairobi, attendant ce qu'il va dire à ses pairs africains sur ce cas. A cet effet, un membre de la Commission de l'UA a déclaré, sous le couvert de l'anonymat: «Nous attendons que le président de l'UA (le président John Kufuor) informe complètement l'Assemblée parce qu'il a été là-bas. Ensuite, nous prendrons une décision.» Aussi, le rapport du président en exercice de l'UA va peser lourd sur la suite que l'organisation panafricaine donnera à la crise kenyane. Dans cette turbulence marquée par les crises récurrentes qui minent plusieurs pays africains, il y a au moins un responsable africain qui garde le cap sur l'objectif qu'il s'est fixé d'unir l'Afrique. Mais sa patience semble aujourd'hui arriver à bout, puisqu'il menace de changer de cap si les choses n'avancent pas à son gré. C'est ainsi que le guide de la Libye, le colonel Mouamar El Gueddafi, a apostrophé ses pairs africains leur demandant d'accélérer le mouvement, faute de quoi il irait sans doute voir ailleurs. C'est ce qu'il a laissé entendre mardi dernier à Tripoli lors d'une conférence de presse et en présence de quelques chefs d'Etat africains. «Si l'unité ne se réalise pas, la Libye va tourner le dos à l'Afrique et se tournera vers une autre alternative, arabo-méditerranéenne ou euro-méditerranéenne», a-t-il ainsi menacé avant son départ pour Addis-Abeba où il prendra part au Xe sommet de l'UA. Mais il ne fait pas de doute que la préoccupation des dirigeants africains sera autre et centrée sur la désignation du successeur du président de la Commission de l'Union africaine, l'ancien président malien, Alpha Oumar Konaré, qui ne se présente pas pour un nouveau mandat. Le jeu de coulisses bat en effet son plein dans la capitale éthiopienne, alors que les candidats ne manquent pas. Il semble toutefois que l'actuel vice-Premier ministre et chef de la diplomatie gabonaise, Jean Ping, tiendrait la corde. M.Ping fera, cependant, face à des concurrents aussi déterminés que charismatiques, comme l'ambassadeur de Zambie aux Etats-Unis, Inonge Mbikisuta Lewanika et l'avocat sierra-léonais Abdulaye Osman Conteh. Tout le monde reconnaît le bon travail fait par M.Konaré, qui a imposé la voix de l'UA sur le plan international. Mais tout n'est pas aussi brillant et beaucoup lui reprochent sa gestion chaotique de l'administration de la Commission de l'UA. Ainsi, ombre et lumière ont accompagné le mandat d'Alpha Oumar Konaré. Dans son message de voeux pour 2008, le président sortant de la Commission africaine a déclaré que «l'UA, en seulement quatre ans d'existence, a enregistré des réalisations majeures, en réunissant tous les peuples africains afin qu'ils discutent des Etats-Unis d'Afrique». Tout le monde lui reconnaît également le mérite d'avoir imposé l'idée d'une Afrique «multidimensionnelle, ni blanche ni noire, ni occidentale ni orientale», selon les qualifications mêmes qu'il donnait au continent noir. La seule question qui tarabuste, en fait, les diplomates présents à Addis-Abeba, est de savoir si le successeur de M.Konaré sera un homme à poigne de la trempe du président sortant ou seulement un président habile à éviter les questions qui fâchent, laissant en plan tout ce qui a été fait et commencé à se faire pour remettre l'Afrique sur les rails du développement. Notons que le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika, qui se trouve depuis mardi dernier dans la capitale éthiopienne, prendra part au 10e sommet de l'Union africaine de même qu'à la 18e session du Nepad et au 8e forum des chefs d'Etat et de gouvernement du Maep.