La richesse de notre littérature se mesure dans le coeur du seul Algérien, auteur ou lecteur. Quelqu'un, originaire d'une région lointaine d'Algérie et qui «s'entend soi-même» et trop sûr de son originalité, demanda, un jour, à un de nos plus grands écrivains d'écriture française s'il comprenait quelque chose aux qaçâid et à la musique d'El Hadj El ‘Anqa. Il faut plus que de l'esprit pour comprendre le populaire Cardinal du cha‘bî, en effet, devrait-on répliquer à cet homme d'humeur bouffonne, que de l'imagination intelligente pour situer dans la cour des envieux le rare ridicule d'un mesquin aux vues courtes. Certes, des gens de la sorte sont nombreux, mais ils ne pourront ôter de l'histoire de notre littérature nos vertueux créateurs, héros définitifs de la sainte ambition d'une Algérie qui avance. Aussi pourquoi dois-je me cacher ici d'être fier de l'oeuvre de Achour Cheurfi qui ne cesse de nous rappeler notre Bien et de nous mettre en face de lui? Il vient de publier L'Anthologie Algérienne (*). Le travail que nous offre ce diplômé de l'Institut des Sciences politiques et de l'Information, ce journaliste au professionnalisme impeccable, ce poète et nouvelliste dont on aime la modestie de la personne et dont on admire le goût de la recherche et la pertinence du propos, est une nouvelle pierre importante à la reconstruction de notre identité. Outre Cornaline (poésie, 1982), Chehla, suivi de Danse infidèle (poésie, 1990), La Maison maudite (théâtre, 2003), L'Exécution (nouvelle, inédite), il nous a déjà donné Mémoire algérienne, le dictionnaire biographique (1996); Dictionnaire des musiciens et interprètes algériens (1997); La Classe politique, de 1900 à nos jours (2002); Dictionnaire des écrivains algériens (2003); Le Livre des peintres algériens (2004); Dictionnaire de la Révolution algérienne (1954-1962) en 2004, et aujourd'hui L'Anthologie Algérienne. D'emblée, Achour Cheurfi s'explique sur l'opportunité d'une telle publication. Il écrit en liminaire: «Cette anthologie a pour modeste ambition de présenter aux lecteurs des portions d'écrits produits par des écrivains enracinés culturellement ou spirituellement dans la terre algérienne.» L'idée est juste, courageuse, claire et nette: «des écrivains enracinés culturellement ou spirituellement dans la terre algérienne». Le labeur est immense; il remonte loin, très loin dans l'histoire des oeuvres algériennes. Par exemple, Cheurfi remonte jusqu'à Apulée de Madaure (125-170) pour nous rappeler son oeuvre majeure, L'Âne d'or ou les Métamorphoses, considérée comme «le premier roman algérien et probablement du monde», puis il revient progressivement vers la «phase contemporaine» en passant, à juste raison, par Lactance (250-330), Saint Augustin (354-430) de Taghaste (Souk Ahras), Sidi Boumediène (1126-1197), Cheb Dharif (1263-1289), Sidi ‘Abderrahmân eth-Tha‘âlîbî (1385-1470), Sidi Cheikh (1532-1616), Hamdân Khodja (1775-1840), Emir Abdelkader (1807-1883), Si Mohand Ou M'hand (1845-1906)...Ce ne sont là que des exemples. Achour Cheurfi nous fait ainsi traverser deux millénaires de littérature, jusqu'à 2006, citant, par ordre alphabétique, des auteurs prestigieux du xixe au xxie siècle et des extraits de leurs oeuvres. Evidement, nous retrouvons ou nous découvrons des auteurs et des textes d'inégale valeur: de grands littérateurs, sans forcément avoir toujours étayé leur pensée ou leur art par des extraits de leurs oeuvres majeures et des écrivains secondaires, flanqués de quelques échantillons de leurs textes mineurs. On pourrait dire pourquoi tel auteur, pourquoi pas tel autre et que fait tel auteur dans ce volume au titre prestigieux et très déterminé L'Anthologie Algérienne? Mais c'est vrai, ainsi que Achour Cheurfi prévient longuement son lecteur: «Ce genre de travail n'a pas la vocation de se substituer à la lecture des oeuvres citées mais seulement d'établir des passerelles entre l'écrivain et le lecteur et d'inciter celui-ci à leur découverte. Le choix des extraits et des thèmes ou même des auteurs peut également paraître arbitraire.» Cet avertissement de Achour Cheurfi me plaît beaucoup, car dans ce qu'on aime, il n'y a vraiment pas de mauvais choix, car aussi de toute façon: «Cette anthologie qui regroupe des textes d'une inégale longueur et d'inégal talent, de plus de deux cents auteurs, constitue déjà un prodigieux regard, présentant sous ses différentes facettes, une algérianité d'autant plus forte et créatrice qu'elle est plurielle et ouverte sur elle-même et sur le monde.» Cependant, je voudrais ajouter à cette Anthologie, des noms d'écrivains et de poètes connus qui furent membres de la première Union des écrivains algériens et que Achour Cheurfi avait présentés ailleurs dans ses Dictionnaires. Il s'agit de M'hamed Aoune (1927), poète d'une fougueuse fantaisie verbale et révolutionnaire, Mustapha Toumi (1937), un authentique meddah qui glorifie l'Algérie, Nordine Tidafi (1929), un poète qui croit au témoignage du Verbe, Laadi Flici (1937-1993), poète et chroniqueur prolifique plein de certitudes et d'amour pour sa Casbah renaissante, et l'on serait tenté sans doute d'ajouter d'autres créateurs dont chacun d'eux a été fortement soi-même pour contribuer assez à caractériser dans le fond l'unité identitaire de la littérature algérienne. Mais soyons tout à fait conscients, L'Anthologie Algérienne de Achour Cheurfi, est d'ores et déjà un magnifique instrument de travail pour tous ceux qui souhaitent, par devoir plus que par curiosité, d'entrer dans une oeuvre utile pour savoir, comprendre et chercher, à leur tour, ce qu'ils veulent trouver. (*) L'Anthologie algérienne de Achour Cheurfi, Casbah Editions, Alger, 2007, 751 pages.