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L'Algérie, un Etat 5 étoiles
Publié dans L'Expression le 09 - 02 - 2008

Cette image a existé. Elle est réelle. Elle a été vendue par les premiers «paparazzi» de l'époque à un million d'exemplaires aux magazines anglo-saxons, européens et des pays socialistes. Le cliché valait de l'or en barre. Il avait fait la «Une» d'El Moudjahid en 1970. La photo éclatait dans toute sa splendeur. Elle incarnait le nouveau rêve algérien. D'ailleurs, jamais conquis à ce jour. Pour sa première visite officielle en Algérie, le Cubain Fidel Castro est invité par Boumediène à visiter le Sud algérien. Le barbudos est fasciné par les mirages du désert. Une vison féerique pour le révolutionnaire de l'Ile de la Liberté. Devant lui, sur le bord de la route, un Targui juché, haut, le port altier, sur son dromadaire. Boumediène eut le coup de génie de proposer, à son hôte, de monter la bête. Voilà comment le destin, ce brillant metteur en scène, vient au secours de deux leaders de révolutions, un jour de printemps, pour les aider à sceller, sous les focus des Canon et des Laica, une image qui restera immortelle. Elle a fait le tour du monde. Elle vendait admirablement l'image de l'Algérie dans le monde. Ce qu'aucun publicitaire, ni gourou de la communication, comme Jacques Seguella, n'aurait réussi à arracher, aujourd'hui, pour vendre les charmes et les images idylliques de notre pays.
A cette époque, l'Algérie recevait bon an, mal an, des contingents plus importants de touristes étrangers qu'aujourd'hui. Rien que pour les fêtes de Noël, des vols spéciaux relayaient Paris ou Rome à Tamanrasset pour célébrer la naissance du Christ au refuge du Père de Foucauld, dans le Hoggar. Il n'existait alors qu'un seul hôtel, le Mouflon d'or.
L'Algérie est passée à côté de la plus belle richesse du monde: le tourisme. Dans la vingtaine de pays qui forment le Bassin méditerranéen, nous sommes le seul pays, avec la Libye, à avoir dédaigné un secteur porteur de vraies richesses et de développement. Nos voisins tunisiens et marocains accueillent, à eux deux, bon an, mal an, près de 12 millions de visiteurs étrangers qui rapportent à leur économie au moins le tiers de leurs recettes en devises.
Qu'avons-nous donc fait de notre Sud, ce plus beau désert du monde? De nos côtes de 1200km avec leurs longues étendues de plages de sable fin, exporté maintenant par mer sur Dubaï pour créer son farniente de baies artificielles à coups de milliards de dollars pour le plaisir des plus grands milliardaires de la planète? Des stations de Tikjda, Tala Guilef et Chréa?
L'odeur du pétrole nous a-t-elle, à ce point, brouillé l'esprit pour que, durant 40 ans, nous ne songions pas à faire ce que tous les pays dans le monde font le plus naturellement possible, c'est-à-dire vendre du tourisme? Le prétexte sécuritaire, si souvent avancé par les dirigeants du pays, n'est ni un bon mensonge. Ni un mensonge pieux. Il est tout simplement criminel, car il prive tout un peuple de la joie de vivre et de communier avec les autres. Qu'avons-nous donc investi dans ce secteur avant la décennie noire? Rien. Durant la colonisation, l'Algérie était une destination favorite qui drainait de l'étranger des touristes en mal de sensations.
Quelle excuse donc, sous Boumediène, avait-on invoqué pour mettre une croix que l'on croyait définitive, sur l'avenir du tourisme? «Les touristes étrangers sont porteurs d'idées capitalistes et constituent un danger mortel pour la Révolution. Les Algériens peuvent être contaminés par le virus de la société de consommation.»
Ce n'est pas parce que nous ne commercialisions plus de Coca-Cola, ni de bananes ou quelque autre marque de camembert, que les touristes nous fuyaient malgré les demandes insistantes et les prospections d'agences de voyages et des tour-opérateurs. La vérité sur ce chapitre est édifiante. Elle ne tenait qu'à un choix sibyllin: «On peut se passer des devises des touristes, le pays est riche en pétrole.» Le pouvoir s'en contrefiche de cette manne. De plus, on le sait et ne l'a-t-on pas assez appris à nos dépens, l'Etat a toujours été un mauvais commerçant.
C'est un véritable drame de constater qu'en 2008, Alger, la capitale du pays, ne compte que six hôtels 5 étoiles.
Que ce soit en matière culinaire, vestimentaire ou culturelle, nous recelons de grandes richesses. Chez nous, s'il existait, s'il était organisé, le tourisme serait un beau feu d'artifice. Une vraie fantasia de sens, de couleurs, de beauté et d'amour. Quant au savoir-faire, il s'acquiert. Rien qu'à Paris, la ville la plus visitée dans le monde, les enfants d'anciens immigrés ont racheté, belle revanche de l'Histoire, les plus belles affaires dans les VIIIe et XVIe arrondissements de la ville des Lumières. Restauration, brasserie sont aussi tenues par des compatriotes sur les beaux sites parisiens. Le Dolchester, l'hôtel le plus huppé de Londres, est dirigé par un Algérien issu de la région d'Azazga, qui a entamé sa carrière à El Aurassi.
C'est cela, l'Algérie des paradoxes!
Qui ne cherche pas la martingale? Nous sommes fiers de voir nos frères marocains, rien qu'avec quelques tadjines et une poignée de charmeurs de serpents de la place Djamaâ El Fna, faire le délice, à Marrakech, de milliers d'étrangers qui font vivre au moins un tiers des 32 millions de Marocains et font rentrer au Royaume pas moins de 4 milliards d'euros chaque année.
Des chaînes de télévision, comme TF1 ou France 2, nous bombardaient, chaque été, de spots racoleurs sur «le Royaume du soleil» ou sur l'«Empire des sens». Ça marche et ça rapporte gros.
Le tourisme est devenu la nouvelle richesse des pays pauvres ou riches. C'est le mariage de l'authenticité et de la modernité. Il est temps que nous comprenions que nous ne devrions pas tourner le dos à cette richesse, parce qu'elle est une chance pour les Algériens. Nous avons été déconnectés des vraies réalités économiques parce que l'Etat a manqué de volontarisme politique. Le tourisme algérien, s'il existe, n'a jamais été géré avec une vision et une stratégie adéquates. Rattrapons le retard et ouvrons-nous vite au monde. Le tourisme, c'est la seule richesse, après tout, qui nous restera quand nous aurons tout perdu. C'est-à-dire après la dernière goutte de pétrole.


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