Un acquis à inscrire à l'actif du Président Bouteflika à la veille de sa troisième année d'investiture. Tamazight enfin langue nationale. Dixit la Constitution algérienne. Un acquis à inscrire à l'actif du Président Bouteflika à la veille de sa troisième année d'investiture. Beaucoup ont tenté de déprécier ce geste. Son caractère progressiste n'en sera pas moins appelé à rester dans l'Histoire. Ce n'est pas un hasard si un parti crédible et résolument favorable à cette cause comme le PT se soit prononcé en faveur de la démarche et l'ait même saluée comme la plus grande mesure d'apaisement historique qu'ait eu à prendre le Président depuis le déclenchement des émeutes en Kabylie au mois d'avril passé. Ce n'est pas, non plus, un hasard si les partis de la coalition gouvernementale, après avoir émis des réserves, ont fini par se plier à cette révision constitutionnelle. Tous ont compris que la mesure, peut-être en avance sur son temps, permettra à l'Algérie d'en finir avec un dossier qui empoisonne son existence depuis force années ainsi que de dégoupiller une bombe (identi- taire) trop longtemps entretenue et parfois instrumentalisée par des acteurs divers et plus ou moins sincères. Beaucoup ont fini par acquérir la conviction que les deux mesures présidentielles, à savoir la constitutionnalisation de tamazight et la prise en charge de toutes les victimes des événements de Kabylie, ont bénéficié de l'assentiment des populations locales. Ne s'élèvent plus que des voix minoritaires et non satisfaites pour la simple raison que la cause identitaire constituait pour eux une sorte de «cheval de Troie», mise au ser- vice d'autres «causes». Afin de saisir toute la portée du geste du Président de la République, une petite rétrospective paraît nécessaire. La cause amazighe, en effet, ne date pas d'aujourd'hui. Elle est plus vieille encore que l'indépendance de l'Algérie. Une bonne partie des dirigeants du PPA, parti nationaliste revendiquant l'indépendance de l'Algérie, était issue de cette région. Dès 1949 des clivages entre arabophones et berbérophones avaient commencé à se faire jour. Ce qui ne veut nullement dire que cette région avait une quelconque velléité autonomiste. Bien au contraire. Une nouvelle fois, après l'avènement de la lutte armée pour l'indépendance, cette région a donné ses meilleurs enfants pour cette cause, tels que Abane Ramdane, Krim Belkacem et Hocine Aït Ahmed. Mais que de mal avait été commis entre-temps. La France, fidèle à sa devise de «diviser pour régner» avait su pérenniser ce clivage artificiel au sein d'une population moralement affaiblie par l'analphabétisme, l'oppression et les superstitions. L'indépendance n'a pas été bénéfique pour cette cause, tant s'en faut. Le premier discours du premier Président algérien, Ahmed Ben Bella, rappelait et ressassait à qui voulait l'entendre que tous les Algériens étaient des Arabes, et uniquement des Arabes. Un pareil déni identitaire, allié à des luttes de clans qui avaient commencé bien avant 62, a poussé le FFS à dénoncer la constituante mise en place et à prendre le maquis en 63. Les règnes de Boumediene et de Chadli ont été marqués par la peur, la répression et l'interdiction formelle de faire la moindre référence à cette composante de l'identité algérienne. Le terrible Printemps berbère d'avril 80 est là pour nous le rappeler. Mais cette cause n'a cessé d'acquérir de la maturité au même titre que la région qui en constitue le porte-étendard sans en être le seul représentant. La situation était telle, à la faveur de l'ouverture démocratique de 89, qu'il a suffi que Matoub soit assassiné en 98 pour que la région s'enflamme. Zeroual, à qui il faut rendre cette justice, a été le seul chef d'Etat à ne pas refiler intégralement ce cadeau empoisonné à son successeur. L'introduction de tamazight dans le préambule de la Constitution de 96 a été un fait notable, mais insuffisant. C'est pourquoi la mort suspecte de Guermah Massinissa, l'année dernière, à la célébration du Printemps amazigh (comme par hasard) a été un détonateur idéal. Ce qui s'est passé par la suite, chacun s'en souvient puisque nous continuons à le vivre jusqu'à ce jour. Beaucoup, et non des moindres, en ont même profité pour remettre en cause implicitement le passé patriotique de cette région et exiger une sorte de séparatisme sans doute inspiré par une quelconque capitale étrangère. Beaucoup, cependant, ont reproché au Président d'avoir trop attendu avant de prendre les mesures qui s'imposaient. Sans doute, les raisons en sont-elles assez simples. La consultation référendaire était exclue parce qu'elle pouvait servir à creuser un fossé impossible à combler entre les Algériens arabophones d'un côté et berbérophones de l'autre. Cela d'une part. D'autre part, il ne doit échapper à personne que la crise algérienne est tellement complexe et grave, qu'elle nécessite forcément un traitement hiérarchisé selon les priorités. Or la relance économique, le redressement social et la lutte antiterroriste sont des causes tout aussi brûlantes que prioritaires. La sécurité et le bien-être social sont une question cruciale. Que peut valoir une identité sans dignité? Mais les choses avaient évolué de manière telle que le Président a dû parer au plus pressé, préférant prendre sur lui la constitutionnalisation par décret de tamazight. Un acte que l'Histoire reconnaîtra à sa juste valeur un jour. Les projets de redressement économique, interrompus à cause de ces événements, devront redémarrer dans les meilleurs délais. C'est d'eux que dépendra la suite des «événements».