Il est actuellement estimé entre 2 et 3 millions d'unités. Le vieux bâti en Algérie est en danger. Autant le poids des ans que celui de l'indifférence des hommes ont contribué à aggraver la situation. Le constat dressé par les experts est tellement catastrophique qu'il est urgent d'y remédier. Le président du Collège des experts architectes algériens et maghrébins, Abdelhamid Boudaoud est catégorique. «Le vieux bâti en Algérie a atteint un état de délabrement quasi irrémédiable.» Trente ans d'expérience bien révolus, M.Boudaoud sait de quoi il parle. Il soutient que l'Algérie n'a jamais pensé à la maintenance de son parc immobilier. Lequel parc est estimé, actuellement, à près de 6,5 millions de logements. Le recensement réalisé le 31 octobre 1954 par Jacques Breil, chef de la Statistique général de l'Algérie, a compté 1.850.000 logements. Notons que la France avait entamé son plan de construction en Algérie à partir de 1847. Un siècle plus tard, Alger est officiellement reconnue comme capitale. En 1962, le parc immobilier en Algérie aura dépassé deux millions de logements, puisque c'est pendant la guerre de Libération que la France a entamé les plus grands projets dans le secteur du bâtiment. Cette stratégie a été suivie dans le dessein d'apaiser, un tant soit peu, les tensions qui ne cessaient de monter chez «la population musulmane». C'était la fameuse époque du «troisième collège», de l'illusoire égalité entre les «populations musulmanes» et européennes. Bref, c'était la politique d'apaisement menée, contre vents et marées, par certains responsables civils français, dans le but d'amener le FLN et sa branche armée, l'ALN, à déposer les armes et abdiquer la revendication de l'indépendance totale de l'Algérie. En 1955, le maire d'Alger, Jacques Chevalier, avait confié, au célèbre architecte Fernand Pouillon, la réalisation des cités comme Diar El Mahçoul et Diar Essaâda. Ces dernières ont été réalisées en un temps record d'une année. D'autres architectes arrivèrent pour réaliser Diar Echems (1958), la cité des Dunes (1959). L'après-Pouillon et les autres En outre, le recensement effectué par le ministère de l'Habitat et de l'Urbanisme en 2003, dénombre le parc immobilier en Algérie à 5.793.631 unités sériées comme suit: 600 groupements urbains, 300 zones urbaines (ZUN), et 30 nouvelles villes réalisées. Ce qui signifie que l'Algérie a, en l'espace de quarante ans, construit 4 millions d'unités. Se basant sur ces données, Abdelhamid Boudaoud affirme que: «le vieux bâti en Algérie oscille aujourd'hui, entre 2 et 3 millions de logements». Et lorsqu'on apprend que la durée de vie d'une bâtisse est estimée à 100 ans, il y a de quoi avoir le tournis. Pourquoi? «Parce que cette durée n'est valable que lorsque les conditions d'entretien sont garanties», souligne le président du Collège des experts architectes algériens et maghrébins. «Et, dans notre pays, aucune de ces conditions n'existe!» ajoute M.Boudaoud. La situation est préoccupante, à telle enseigne qu'il est urgent d'en venir à bout. Mais a-t-on fait quelque chose en ce sens? «Rien de cela n'est fait», affirme Abdelhamid Boudaoud. Pis, à ce jour, aucun recensement du vieux bâti en Algérie n'a été effectué. Aucun plan de sa réhabilitation n'a été élaboré. A-t-on besoin d'une preuve pour cela? Que non, et mille fois non, puisque la preuve est fournie par nos villes. Souvenez-vous de l'effondrement, le 21 décembre 2005, de l'hôtel du Square, à côté du TNA, à Alger, faisant 8 morts et 22 blessés. Rappelez-vous également l'effondrement de l'immeuble La Parisienne, sis 8, rue Sergent Addoun, en plein coeur d'Alger-Centre. Ce joyau était, purement et simplement, victime du laisser-aller. «Il est vrai que cet immeuble a été construit à l'époque coloniale, mais aujourd'hui il fait partie du parc immobilier algérien», lâche M.Boudaoud. Des exemples similaires sont légion. Il suffit de faire un tour dans nos villes pour s'en rendre compte. Dans certains quartiers de la capitale, il existe même des bâtisses, vieilles de plus de 100 ans, dont les escaliers sont effondrés. Au lieu de les refaire, les autorités ont procédé à une simple opération de replâtrage, en installant des escaliers en bois! Autre exemple: les bâtisses effondrées suite au séisme du 21 mai 2003, qui a secoué la wilaya de Boumerdès et les régions limitrophes. Les bâtiments construits sans conformité avec les normes antisismiques appliquées à travers le monde se sont effondrés comme des châteaux de cartes. «Il faut un livret de santé...» «L'effondrement, le 21 mai 2003, de l'immeuble numéro 10, dans la circonscription de Réghaïa, n'est pas dû à la secousse, mais plutôt à une opération d'extension au niveau de la boulangerie située juste en dessous du bâtiment, et effectuée par le propriétaire», raconte Abdelhamid Boudaoud. «Pour gagner un peu plus d'espace, le propriétaire n'a pas trouvé mieux que de supprimer le pilier central de son local», déplore notre interlocuteur. Le président des experts architectes algériens et maghrébins va plus loin. «Rien ne sert de construire des logements si on ne les prend pas en charge», estime-t-il. «Quand on construit dix immeubles, il faut penser à la maintenance, au moins, d'un bâtiment», pense M.Boudaoud, avant d'ajouter: «Il faut également penser à élaborer "des cartes d'identité" pour chaque commune». Mais, apparemment, ce projet n'est pas pour demain puisque sur les 12.000 plans d'occupation des sols (POS) lancés par les autorités, 3000 seulement ont été étudiés et approuvés. Il en reste donc 9000. Il est important de souligner ici que «le POS est un document d'urbanisme opposable aux tiers qui détermine l'affectation des sols, selon l'usage principal qui doit en être fait, au regard de leur constructibilité (habitat, loisirs, activités, espaces naturels à protéger)». Par ailleurs, devant l'ampleur de la problématique, «il est urgent de procéder au recensement du vieux bâti. Pour ce faire, commençons tout d'abord par le recensement des bâtisses faisant office de siège aux différentes institutions de l'Etat, et établissements scolaires, universitaires et hospitaliers», propose Abdelhamid Boudaoud. Celui-ci parle, en outre, de la nécessité absolue de mettre en place «un livret de santé pour chaque immeuble». Seule et unique façon de préserver le patrimoine immobilier dont dispose l'Algérie. «C'est de cette manière qu'on peut dire s'il faut démolir, réhabiliter ou restaurer le vieux bâti», estime le président des experts architectes algériens et maghrébins. La direction du logement de la wilaya d'Alger a procédé à la démolition de 220 bâtisses. «La plupart sont en état de délabrement avancé et aucune opération autre que la démolition ne peut être effectuée», souligne une source auprès de cette instance. La situation est au rouge. Nos bâtisses sont en danger. Faut-il attendre de voir que nos villes soient rasées pour daigner lever le petit doigt? Pour éviter un drame annoncé, il faudra non seulement des décisions politiques draconiennes, mais aussi une volonté de fer perceptibles sur le terrain.