Près de 2 millions de constructions datent de plus de 50 ans, en Algérie. Des bâtiments, abritant les institutions de l'Etat (APN, Sénat, Palais du gouvernement…), avoisinent les cent ans. La réhabilitation et le confortement du vieux bâti coûteront, selon une estimation approximative, 3,5 milliards de dollars. Les risques sismiques qui menacent inexorablement les grandes villes algériennes, à leur tête la capitale, construite sur cinq failles principales, préoccupent au plus haut niveau les experts en génie sismique et les architectes. La menace est d'autant plus grande que le bâti à Alger, Oran et Constantine est trop vieux pour résister aux secousses telluriques d'importante intensité. Selon une étude réalisée par le Collège national des experts architectes (CNEA), basée sur des données statistiques sur les immeubles et les logements, établies en octobre 1954 par le chef de la statistique générale en Algérie Jacques Breil, environ 1 800 000 bâtiments, sur l'ensemble du territoire national (avec une concentration plus accrue dans les trois wilayas susmentionnées), datent d'avant le déclenchement de la guerre de Libération nationale en 1954. Près de 40% de ce patrimoine, soit près de 800 000 constructions, sont âgés de plus de 70 ans. Des bâtiments, abritant les institutions de l'Etat (APN, Sénat, Palais du gouvernement, ministère de la Défense nationale, wilaya d'Alger) avoisinent les cent ans. Les CHU Mustapha (place du 1er-Mai) et Maillot (Bab El-Oued), les prisons d'El-Harrach et de Serkadji, le Théâtre national algérien ainsi que l'Université d'Alger et la mosquée Ketchaoua ont été érigés entre 1794 et 1856. Selon Abdelhamid Boudaoud, président du Collège national des experts architectes, les autorités compétentes doivent agir vite pour sauvegarder, d'une part, un patrimoine architectural et urbanistique d'une valeur inestimable, et préserver, de l'autre, des milliers de vies humaines dans le cas où un tremblement de terre secouerait Alger ou ses environs. “Le risque sismique devient chaque jour plus pressant. Pour contrer le scénario d'une catastrophe, les autorités doivent prendre la décision de rénover un grand nombre de bâtiments”, recommande cet expert. Il regrette qu'à ce jour, aucune stratégie globale d'intervention sur le parc immobilier vétuste ne soit initiée. “Nous avons alerté, à maintes reprises, les autorités. Mais nous n'avons eu aucun écho”, se plaint-il. Selon cet architecte, il est urgent de procéder à un check-up général de l'ensemble du bâti dans chacune des 1 541 communes que compte le pays. C'est sur la base d'un état des lieux détaillé qu'il sera loisible aux spécialistes d'évaluer le degré d'intervention d'urgence pour chaque bâtisse et engager, par la suite, les travaux qui s'imposent (réhabilitation, rénovation, confortement ou carrément démolition). “Chaque bâtiment doit avoir son livret de santé que l'administration garde à son niveau pour être consulté par l'usager. En effet, des citoyens profanes continuent à acheter des logements et locaux commerciaux à un prix fort sans se douter des problèmes futurs”. Selon le CNEA, l'ensemble du patrimoine immobilier, datant entre 1840 et 1962 (soit environ 2 millions d'unités) a besoin de travaux de rénovation et de consolidation. Certaines bâtisses doivent être tout simplement détruites. 70% des constructions érigées entre 1962 et 1981 (soit 1,8 million) exigent une réhabilitation approfondie. Quelque 1,9 million de logements, bâtis entre 1981 et 2004, nécessitent une rénovation légère et un entretien régulier. Une estimation approximative de cette opération, qui pourrait s'étendre sur un demi-siècle en se référant aux expériences de certains pays européens (Espagne, France, Italie…), est de l'ordre de 3,5 milliards de dollars. “Attention, réhabilitation ou rénovation ne signifie pas ravalement des façades. C'est une recherche profonde sur la vétusté du bâtiment (murs porteurs, superstructure, étanchéité…)”, prévient M. Boudaoud. C'est en raison de la délicatesse de la tâche qu'il recommande avec insistance l'implication directe des spécialistes du domaine. “Pour sauvegarder le patrimoine bâti et les futures constructions, les architectes et les ingénieurs en génie civil doivent être impérativement associés à tous les programmes de réhabilitation ou de confortement”, insiste M. Boudaoud, qui déplore que ces experts n'aient pas été conviés à la rencontre sur le vieux bâti, laquelle a réuni jeudi dernier le ministre délégué à la Ville et son collègue délégué aux Collectivités locales avec les walis et les responsables du CTC (Centre national du contrôle technique de la construction). “12 000 architectes et 2 675 ingénieurs en génie civil exercent en Algérie. Si l'Etat les met à contribution, aux côtés des 5 centres de CTC, il aura tout à gagner”, suggère notre interlocuteur. “C'est le moment ou jamais pour toutes les parties concernées de conjuguer leurs efforts pour sauver les villes et protéger leurs habitants”, insiste-t-il. L'alerte du CNEA est donnée quelques jours à peine après que le Pr Chelgoum, expert en génie sismique, eut appelé, lors de son intervention aux journées parlementaires sur la défense civile au Conseil de la nation, les autorités nationales à prendre sérieusement en compte la problématique du confortement du vieux bâti dans la capitale. Il a signalé qu'Alger sera complètement rasée si un séisme — au demeurant inévitable — d'une magnitude de 7 sur l'échelle de Richter l'ébranle. Environ 67 000 morts seront, en conséquence, dénombrés. Souhila H.