Une histoire en boucle, savamment écrite, avec au bout cette poésie propre à l'auteur. C'est ce qu'on appelle couper le cheveu en quatre. Un roman à cercle vicieux, où l'un prend la forme de l'autre. Dans son deuxième roman, Pays d'aucun mal, El-Mahdi Acherchour nous plonge dans un univers qui semble lassant à première vue. Moh-Ammar Amnar, le narrateur, revient chez lui, au village de Tasta-Guilef, anciennement Rasta, au comble de la pauvreté et du dénuement...Il revient ainsi dans «ce prétendu pays un peu secret, qui fut le seul habité par quelqu'un. Un dieu? Un homme d'ici? Un inconnu? Une idole Personne ne savait qui c'était. Peu importe son nom...», et de qualifier cet inconnu un peu plus loin de «Le malveillant». Il dit qu'il revient de loin, chargé de toutes les fatigues du monde et de toute une errance éperdue. Il est de la famille des Amnar, nom donné aussi à toute une tribu par opposition aux Larabi, l'autre versant du village. On croit se perde dans les dédales des ruelles sombres tout comme l'est la densité compacte des mots de ce texte qui n'a de cesse de se construire, de se déconstruire, de se raconter à l'infini pour créer une boule de phrases, presque «insensées». Le narrateur revient voir son grand-père, qu'on croit sourd, tantôt mort, tantôt ressuscité et dont la première femme s'appelait Zegloum...Le narrateur revient, ainsi, revoir ce village, comme déterré de nulle part, ou sorti du néant ou bien du rêve de l'auteur lui-même...Beaucoup de ceux que Amnar avait laissés, autrefois, habitent, maintenant, leur dernière demeure, ou sont partis. Beaucoup de choses ont changé ou presque. Avec très peu, mais beaucoup de poésie finalement, le premier amour de El-Mahdi Acherchour, l'auteur fait épanouir la parole dans le frêle bruit du silence et resurgir mille et une histoires, les racontant sur un ton extrêmement émouvant, sans décorum ni fioriture. Et c'est une oeuvre de prodige que d'avoir pu tirer du néant un texte aussi beau. Intercalé en quatre chapitres, ce roman qui se décline en narration bouclée en phrases longues est quasiment sans ponctuation. C'est qu'il a du souffle ce narrateur qui évoque en premier sa «dernière nuit d'hiver», puis «l'autre nuit», en passant par «dès ce printemps» pour finir «au printemps suivant». De l'esprit d'une petite vie, courte ou éternelle, on ne sait plus, cette histoire intrigue à plus d'un titre. Le narrateur déclare, en effet, à la page 35, presque sur le ton de la confession ironique, prêt à dévoiler un secret ou le mystère de ce roman: «Non pas que ces deux ou trois mille histoires étaient pareilles à l'infini, non pas que je suis pareil à grand-père, racontant ces histoires et d'autres, deux ou trois mille autres, en petits chapitres sombres, à n'en plus finir, toujours les mêmes en vérité, en désordre bien évidemment, à suivre toujours lentement, autrement et clairement, toujours entendues ici où j'ai non pas l'intention de les raconter, non pas que je suis en voie de les oublier comme j'ai oublié - j'aimerai croire, ne point oublier ailleurs, dans un autre petit chapitre, l'histoire de l'autre, un homme, un inconnu venu d'ailleurs, immortalisé ici par grand-père dans une légende qu'il voulait longue et totale, légende presque aussi longue que la totalité de ses histoires - de vous raconter l'autre nuit - que je raconterai ailleurs quand je finirai de vous éclairer ce petit chapitre peu important...» N'est-ce pas déroutant! Un vrai casse-tête chinois...qui mérite tout de même que l'on se faufile dans ses arcanes, avec attention... Né à Sidi Aïch, près de Béjaïa, en Algérie. Il vit actuellement aux Pays-Bas. Pays d'aucun mal est son second roman, après Lui, le livre (Barzakh, 2005). Il a, par ailleurs, à son actif plusieurs recueils de poèmes. Pays d'aucun mal El-Mahdi Acherchour Editions Aden (2008), 95 pages