S'il vient de l'intérieur du pays, sa solitude est encore plus grande, surtout pendant l'heure des visites... Il y a quelques minutes, une heure, peut-être plus, il franchissait le seuil de l'aile du bloc opératoire de la clinique. Nu comme un ver, allongé sur un chariot-brancard, trop bruyant à son avis, enveloppé d'une couverture aux couleurs qui lui semblaient douteuses, on le fit traverser lentement, trop même, l'espace du «long» couloir qui séparait son lit du bloc opératoire. Derrière lui, le dernier portillon «a claqué comme un fouet» pour reprendre une image chantée décrivant un désarroi comparable. «Je ne suis plus de ce monde!» songea-t-il un instant avec un frémissement presque douloureux qui lui parcourut le dos et dont les effets sont encore vivaces dans son imagination. En deux trois mouvements, il se retrouva sur le «billard» (quelle curieuse appellation!), sous un fort éclairage et soumis aux «joueurs» qui le perforent de toutes parts, lui injectant moult substances. Tout comme les queues de billard, les seringues sont là, les tubes de transfusion aussi...Arrive presque instantanément le «masque» anesthésiant. Le temps s'arrête. C'est l'ultime épreuve morale pour le malade étalé sans défense sur l'autel de la Science. Il entendit une boutade du professeur chargé de l'opération, qui lui lançait amicalement «tu es bien entouré!» faisant allusion aux jeunes et belles femmes médecins faisant partie de l'équipe «opérationnelle». Celles-ci s'affairaient avec diligence pour préparer, (excusez l'expression), la bête à «immoler». Avec un courage simulé, notre malade esquissa un sourire impersonnel et lança à l'adresse des médecins un salut «à tout à l'heure!» dont le ton trahissait une inquiétude mal contenue. Surprises sans doute par cette exclamation teintée quand même d'espoir, elles s'empressèrent d'y répondre agréablement, les yeux rieurs et les lèvres souriantes, puis ce fut le...«néant!» Une fois réveillé après cette «absence» du monde des mortels, plutôt des «vivants» dirions-nous, l'opéré n'a pas cherché à savoir combien de temps il fut «out», absent ou inexistant même. Peut-être une heure, peut-être plus, une éternité...? Qu'importe. Il est de nouveau là, parmi les vivants. Il ne sent même pas la douleur de la plaie encore récente de l'opération, l'anesthésie continuant à agir encore, «en sourdine». Fatigué, le sommeil l'emporte rapidement dans les bras de Morphée qui l'exclut une nouvelle fois de ce monde. Il est réveillé par une jolie infirmière (un sens sélectif et appréciateur qui ne l'a pas quitté) venue lui rajuster le nouveau «cordon ombilical» qui distille le sérum vital post-opératoire. Une dame venue rendre visite à son mari opéré, voisin de chambre, lui donne gentiment à boire. Quelques instants plus tard, arrive le reste des membres de sa propre famille venus voir le «rescapé». Joie, sourires, des larmes aussi... On ne peut à ce moment là s'empêcher de penser à ces malades qui sont seuls dans cette ville, loin de leur région, auxquels personne ne vient rendre visite. Ils sont là, la mine triste ou tout au moins inexpressive, le regard qui se dérobe et humide. Ils assistent en témoins esseulés, avec cette pudeur qui caractérise les Algériens, aux épanchements de joie et de bonheur qui se manifestent bruyamment, presque sans retenue, autour de lui. Bien sûr, ceux qui reçoivent leurs familles, proches, collègues de travail et amis partagent avec les autres malades fruits, boissons et autres délicatesses apportées par les visiteurs, cela sans restriction aucune. Mais le coeur, lui ne sait pas, ou ne veut pas recevoir de dons matériels. Ce qui lui manque le plus, c'est cette chaleur familiale, le rire et le sourire des siens que rien au monde ne peut remplacer. Cette situation poignante fait curieusement penser à nos compatriotes émigrés qui passent seuls les fêtes religieuses loin des leurs et de leur pays. En début de soirée, vinrent les médecins «internes» de garde s'enquérir de l'état des anciens et nouveaux malades. Presque le même scénario pré-opératoire: prise de tension, vérification du pouls, contrôle de la plaie, application de nouveaux pansements pour certains et quelques paroles de réconfort échangées avec le malade...tout ceci montre le sérieux et la compétence qui animent les équipes médicales qui veillent sur la santé des malades dans cet établissement public hospitalier au nom du chahid Rahmouni Djillali (ex-clinique des Orangers) qui surplombe la baie d'Alger à partir du chemin Cheikh El Ibrahimi (Alger).