Cette équipe passe pour être le parfait «looser». La question brûle les lèvres de l'Espagne: comment, son billet pour les quarts rapidement acquis, cette équipe potentiellement brillante va-t-elle affronter son passé d'éternel «looser» pour franchir enfin le cap de ses espérances déçues dans un grand tournoi? Les faits sont têtus, spectraux...La «Roja» n'a, en effet, franchi que trois fois le cap des quarts dans un Euro ou un Mondial: à l'Euro-1964 qu'elle remporta à domicile; à l'Euro-1984 où elle échoue en finale contre la France de Platini, et au Mondial-1950, où elle termina à la 4e place (ndlr, après le premier tour, une poule finale avait été organisée pour décider du vainqueur). Insolence ou réalisme, le buteur Fernando Torres a défié d'une phrase dimanche ces décennies de frustration après l'âpre victoire devant la Suède (2-1), faisant suite à la flamboyante démonstration contre la Russie (4-1). «Nous avons les capacités pour écrire l'histoire», a lancé le jeune (effronté?) Torres. Cette certitude se nourrit d'abord d'un constat, renouvelé samedi: celui d'une fort belle panoplie offensive. Moins à l'aise que devant les Russes, butant sur le dense milieu suédois, l'Espagne a néanmoins rappelé qu'elle avait des ressources. Villa, révélation médiatique de l'Euro, a conforté sa place de meilleur buteur de la compétition (4). Torres a ouvert son compteur sur l'une des rares occasions qu'il a eues, et le rapide Silva a montré combien il était précieux pour ces deux pointes. L'affaire offensive entendue, l'Espagne semble aussi résister à la tentation de l'euphorie, son péché mignon qui lui valut bien des déboires dans un passé encore récent. Le sélectionneur Luis Aragones, visiblement à l'aise dans son rôle de druide vivant sa dernière mission, joue ici au mieux son rôle de «dégonfleur» d'ego. L'influence moindre des joueurs du Real Madrid dans cette sélection (Raul est resté au pays) peut favoriser cet esprit collectif, dans une ambiance moins «starisée». Fabregas, titulaire et dépositaire du jeu à Arsenal, ne crie pas non plus au scandale parce qu'il est remplaçant. Le fait que cette équipe jeune, lancée véritablement au Mondial-2006 mais dont beaucoup de joueurs se connaissent de longue date, «ait compris l'expérience» de l'échec allemand (battue par la France en huitième de finale), selon Aragones, milite encore pour cet esprit de groupe. Le jeu de passes, obsession du «sage d'Hortaleza», fait aussi sa force. «C'est la meilleure équipe du monde dans ce domaine», a reconnu dimanche dernier le sélectionneur suédois Lars Lagerbäck, dont la formation a couru derrière le ballon en seconde période. C'est l'arme essentielle de l'Espagne en effet, mais c'est aussi par là qu'elle pourrait faillir, devant une équipe à gros potentiel physique comme l'Italie, qu'elle pourrait croiser en quart de finale, si la Squadra Azzurra se qualifie. A ces limites physiques du milieu espagnol s'ajoutent les récurrentes questions sur la défense. Le but d'Ibrahimovic a ainsi montré une certaine friabilité dans ce secteur. La blessure à la voûte plantaire de Pujol ajoute à l'incertitude. A quel supplice serait vouée la charnière espagnole devant des joueurs comme Van Nistelrooy, Cristiano Ronaldo ou les feux follets croates? Là réside pour une bonne part la capacité de la «Roja» à écrire sa propre histoire.