Paris joue gros et un échec de son «Sommet» signera les funérailles de la diplomatie française. Le président français, Nicolas Sarkozy qui porta en «gestation» le projet de l'Union méditerranéenne - devenue, par le vouloir de la puissante et intransigeante chancelière allemande, Angela Merkel, «Union pour la Méditerranée» - joue son crédit dans une partie difficile dont il ne contrôle ni ne maîtrise, c'est le moins qui puisse être dit, toutes les pièces du puzzle. Et pour cause! Dès le moment où la Commission européenne s'est emparée du projet et l'a remanié aux normes et à l'aune de l'Union européenne, c'était l'officialisation de la mort du «grand» projet sarkozien dans son module initial. Mais le problème n'est déjà plus là dès lors que le dessein du président français a été repris, et profondément modifié, par l'Union européenne qui en a fait un succédané en vue de «redynamiser» un Processus de Barcelone, en cale sèche. En fait, la question se pose toujours: pourquoi l'Union pour la Méditerranée. Quelle Union, pour qui, et quelle plus-value les pays sud-méditerranéens doivent-ils en attendre? Ce sont ces «clarifications», outre celle concernant la place d'Israël dans le processus méditerranéen, qu'Alger, en particulier, n'a cessé de demander à la partie française sans que les réponses apportées soient satisfaisantes, comme l'indiqua le chef de la diplomatie algérienne, Mourad Medelci, lors du Forum d'Alger qui eut lieu au début du mois courant. Les intérêts des pays de la rive Sud, en fait les pays arabes, sont-ils pris en compte et protégés? Ces partenaires arabes ont-ils été consultés, ne serait-ce que sur la «faisabilité» du projet d'Union? Il y a comme un doute lorsque l'on voit la manière autoritaire avec laquelle la chancelière allemande Angela Merkel avait opposé une fin de non-recevoir à un projet dans lequel elle voyait le germe de la division entre les Européens du Nord et du Sud et la mise à mal de l'Union européenne. Elle eut gain de cause. On constate en revanche que les Arabes n'ont pas eu leur mot à dire dans un projet qui s'est réduit à une affaire euro-européenne. Il est superflu de souligner que les pays du «Sud» n'ont eu aucun droit de regard dans cette petite cuisine franco-allemande. De fait, le projet revu et corrigé par Mme Merkel, porte désormais le nom officiel de «Processus de Barcelone: Union pour la Méditerranée». Ceci pour dire le peu de cas fait des pays «sudistes», desquels on attend uniquement l'approbation aux idées et propositions venant du Nord et aussi qu'ils ne gâchent pas la fête du 14 juillet. Israël dans le même processus que les Arabes Aussi, Nicolas Sarkozy, malgré son recul face à Angela Merkel, préfère encore cette «UPM» tronquée et ne répondant pas totalement à ses aspirations - du moins pour ce qui est de «l'estampille de fabrique» - dans laquelle il ne perd pas au change, dans la mesure où l'important, aux yeux du président français, reste «l'intégration» d'Israël dans le même processus que les pays arabes. Dès lors, la question nodale est et reste la place d'Israël dans le puzzle méditerranéen, imaginé par Sarkozy, à moins que toute cette stratégie n'a pour finalité que d'imposer l'Etat hébreu aux pays arabes récalcitrants, ou qui tardent à «normaliser» leurs relations avec Israël, alors que la question de la création de l'Etat palestinien est chaque jour renvoyée un peu plus dans les limbes du futur. Le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, indiquant que le Premier ministre israélien, Ehud Olmert, et le président syrien, Bachar Al Assad, seront côte à côte à Paris. Ce qui n'empêche pas M.Kouchner, réagissant à la polémique induite par l'invitation faite à M.Assad, de déclarer à la radio Europe 1 que la venue de Assad ne «l'amuse» pas, indiquant avec morgue: «Moi, ça ne m'amuse pas spécialement (...) Mais je pense que si on fait l'Union de la Méditerranée et si les Israéliens parlent aux Syriens en ce moment, ne faisons pas les malins.» Ce qui explique beaucoup de choses. Aussi, pour le président français, réunir autour de lui à Paris une brochette de dirigeants arabes assis à la même table qu'Ehud Olmert...serait une grande réussite. Or, des pays arabes s'estiment en guerre avec Israël, tant que le peuple palestinien n'aura pas été rétabli dans ses droits, recouvré ses terres et sa liberté confisquées par Israël depuis 60 ans. M.Sarkozy a ignoré cet aspect du problème et peu réfléchi à un dossier directement lié au sort du peuple palestinien, SDF dans son propre pays, occupé et colonisé par Israël alors que la judaïsation de Jérusalem-Est s'accélère, que l'expansion des colonies en Cisjordanie bat son plein et la menace de bantoustanisation de ce territoire laisse peu de chance à l'Etat palestinien d'être jamais créé. Il est évident que des chaises risquent fort de demeurer vides le 13 juillet. Vous imaginez Bouteflika assis à la même table qu'Olmert? On ne peut l'imaginer pour notre part et aucun Algérien ne «voit» le président de la République algérienne assis face au Premier ministre israélien et cohabiter avec lui - hors des instances de l'ONU - dans une organisation régionale. Expliquant son projet, le président français a déclaré au Figaro (6 mars 2008) que «tous les pays membres de l'Union européenne (ils sont 27) et tous les pays riverains de la Méditerranée pourront participer». A quel titre Israël certes riverain de la Méditerranée - qui n'est membre ni de l'Union européenne (UE) ni du Conseil de l'Europe (CE) - (ce qui est le cas de la Turquie, membre du CE) - et encore moins de la Ligue arabe - peut-il prendre part à une organisation qui va regrouper un ensemble, l'UE, avec des pays membres d'un autre ensemble, la Ligue arabe? L'Appel de Rome (20 décembre 2007) affirme que «convaincus du fait que la Méditerranée, creuset de cultures et de civilisations, doit reprendre son rôle de zone de paix, de prospérité, de tolérance, le président de la République française, le président du Conseil des ministres de l'Italie et le président du gouvernement de l'Espagne se sont réunis à Rome le 20 décembre 2007 pour réfléchir ensemble aux lignes directrices du projet d'Union pour la Méditerranée. L'Union pour la Méditerranée au-ra pour vocation de réunir Europe et Afrique autour des pays riverains de la Méditerranée et d'instituer un partenariat sur un pied d'égalité entre les pays du pourtour méditerranéen». De quelle «égalité» et de quel partenariat parle «l'Appel de Rome» quand ce sont les Européens qui se réunissent entre eux pour réfléchir et définir les «lignes directrices» du projet en l'absence de représentants du Sud et de l'Est de la Méditerranée, outre le fait que nous avons d'un côté, un bloc uni et solidaire (l'Union européenne) face à des pays arabes désunis qui partent à l'aventure dans un processus à la réflexion duquel ils n'ont pas été associés et dont les objectifs réels restent vagues. Enorme fossé entre le nord et le sud de la Méditerranée Or, le fossé entre le développement scientifique, technologique, industriel, agricole de l'Union européenne par rapport à la rive Sud de la Méditerranée est tel que ce serait une véritable mystification que de prétendre construire entre ces deux entités (l'Europe et les pays arabes riverains de la Méditerranée) un vrai partenariat politique ou encore de mettre en place des sortes de marchés communs comme il en existe en Amérique latine (Mercosur), en Amérique du Nord (Alena), en Asie (Asian) ou même le Marché commun européen. Mais, à l'évidence, nous n'en sommes pas là et aucun de ces schémas ne s'applique au projet «UPM». Alors quelle est sa finalité? Selon les déclarations de responsables européens - notamment celle du ministre français de l'Environnement, Jean-Louis Borloo, lors d'une récente visite à Alger -, la priorité est donnée au domaine environnemental et scientifique:lutte contre les aléas climatiques, dépollution de la mer Méditerranée, agroalimentaire, énergie solaire, outre le volet éducationnel et les échanges culturels. Ce qui ne correspond pas nécessairement aux préoccupations du Sud, en manque de développement et ayant besoin de redynamiser son économie, mettre à niveau son industrie, revaloriser son agriculture. Est-ce que les initiateurs du projet UPM, en ont discuté avec leurs partenaires de la rive Sud? On en doute, d'autant plus que c'est au niveau de la Commission européenne que s'est effectuée la «reconfiguration» de l'Union pour la Méditerranée. Or, l'activisme français débordant ne peut faire oublier que tout n'a pas été dit sur cette Union, et que les pays arabes, notamment l'Algérie, attendent d'autres explications plus en phase avec les demandes de nos pays. Ces explications seront-elles fournies par François Fillon, attendu à Alger le 21 et 22 juin? S'exprimant devant le Think Tank «The Center», (Bruxelles, 26 février 2008), Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'Etat français, chargé des Affaires européennes, déclarait: «La Méditerranée est aujourd'hui une frontière déterminante pour l'Union européenne. (...).Maintenant, il est clair que nous devons faire cela en associant pleinement tous les membres de l'Union européenne qui souhaitent participer à cette aventure (...)» Il s'agit en fait de compléter «l'imperméabilité» de cette frontière ultime de l'UE qu'est la Méditerranée, et l'un des rôles assignés à l'Union pour la Méditerranée est d'être le dernier rempart qui conforte la sécurité de l'Europe. De fait, beaucoup d'inconnues limitent la visibilité et la lecture d'un projet dont le flou est savamment entretenu. Il est patent toutefois que nombreux sont les responsables arabes qui seront présents le 13 juillet à Paris. A juste raison, Antoine Basbous, de l'Observatoire des pays arabes, note dans Le Figaro (17 avril 2008) que «la principale préoccupation de ces dirigeants (arabes) n'est pas d'intégrer un club de démocraties méditerranéennes, mais de sanctuariser leurs régimes et de maintenir leurs clans au pouvoir (...) Donner la liberté à leur peuple, instaurer un Etat de droit ou offrir à leur jeunesse une véritable perspective, cela n'est pas à l'ordre du jour». D'où l'empressement de certains d'entre les dirigeants arabes à adhérer au projet «UPM» sans autre garantie que les imprudentes promesses de Sarkozy selon lesquelles l'un aura la coprésidence, l'autre le siège de l'Union et le troisième le secrétariat de l'organisation. Pourquoi pas, du moment que ces dirigeants aiment que l'on flatte leur ego. Mais, peut-on se demander, Paris vaut-il une messe?