La pièce a provoqué des sentiments grisants, forts en émotion. Emouvante fut la pièce de Kader Attou, présentée jeudi dernier au sein de la grande salle du théâtre national Mahieddine Bachtarzi devant un public émerveillé. Cette pièce en deux parties s'est déroulée en fait d'une seule traite, sans entracte. La première partie est le fruit d'un travail chorégraphique, mené en résidence avec des jeunes danseurs algériens, le mois dernier. Forte d'une charge psychologique, nourrie d'une écriture dense et fluide, Prière pour un fou est «un spectacle non pas basé sur la performance mais beaucoup plus sur l'émotion. La danse exprime la douleur, la souffrance. Je parle, en fait, du fou qui sommeille en chacun de nous et qui peut se réveiller à tout moment», révèle Kader. Sa troupe Accrorap qu'il dirige et dans laquelle il «évolue» aujourd'hui en compagnie de deux autres danseurs Abdenour Belalit et Habib Benziane, se veut, par la force du mouvement et du caractère, un exutoire contre les maux que fait naître la bêtise humaine. Prière pour un fou est, aussi, dédiée à tous ces gens qui continuent à résister et à se battre pour qu'enfin règne la paix dans le monde. A commencer, dans les coeurs car c'est de là que Kader puise son énergie créatrice pour se dépasser, se transcender et s'exprimer, enfin, en matérialisant sa déchirure, ses angoisses. «A travers mon corps, je sais exprimer des choses, les raconter. Donc, je le fais, j'essaye simplement de sentir ce qu'il y a autour de moi, dans ma propre vie et parler de certaines choses qui me touchent, j'ai envie de parler de ma souffrance, celle de mon pays, l'Algérie». Prière pour un fou est une ode pour la paix et la fraternité. Un réquisitoire contre la violence et l'intolérance traduit poétiquement sur une musique signée Imhotep, «l'architecte musical» du groupe IAM. «Mon but n'est pas de faire un show dans le style spectacle, mais d'y amener une réflexion artistique autour de cette déchirure que j'essaye de témoigner sans position politique, juste dans l'urgence de dire». C'est au milieu d'un décor fait d'un assemblage de planches, que les trois artistes mettent en accord acrobaties et formes chorégraphiques. En outre, sur la scène, trône un homme gigantesque, ayant une corde autour du cou. Cette corde autour du cou, que signifie t-elle? Suicide par désespoir ou séance d'exécution? Quoi qu'il en soit, c'est la vie paradoxalement qui est soulignée et devant triompher par-dessus tout! Au-delà de toutes les contingences socio-politiques qui règnent dans le monde, la fonction narrative du geste est là pour témoigner de notre vécu et des conditions de vie que subissent les jeunes, issus de l'immigration notamment. De la souffrance par manque de repères et d'identité. La danse chez Kader se veut ainsi un dialogue entre ce brassage de cultures qu'assume tant bien que mal cette frange de la société française d'origine algérienne. Des chorégraphies amples et généreuses s'appuyant sur une scénographie du plasticien natif de Ghardaïa, Mohamed Bakli, et ponctuées par moment par la grâce étincelante du violoncelle qu'Emmanuelle Miton sait manier avec éclat et raffinement. Aussi, c'est un va-et-vient incessant entre l'Orient et l'Occident qui est largement évoqué à travers cette palette de musiques qui tire son essence de notre patrimoine (bedoui, targui...). Le drame, que subissent certains peuples dans le monde, comme la Palestine L'Algérie meurtrie, est ici mis à nu par le chant nostalgique de Brahim Tounsi dont la voix mystique et lancinante mêle à la fois le raï, l'oriental aux consonances maghrébines, celles de son pays, le Maroc et non comme son nom l'indique, la Tunisie. Avec cette pièce réinventant le hip-hop, Kader Attou signe là un spectacle de danse contemporain de haute facture. En fusionnant l'acrobatie et les danses urbaines, il crée un style nouveau, propre à lui et s'affranchit de l'étiquette «banlieue». Prière pour un fou a mis la salle du TNA en effervescence. Elle, qui est habituée généralement aux cérémonies des plus guindées, a vu son arène transformée en un grand espace récréatif. Des jeunes dont la plupart sont issus de la mouvance hip-hop ont pu, une fois n'est pas coutume, donner libre cours à leur trop-plein de délire et ce, au sein même de ce grand temple du IVe art.