QUAND LA NUIT blanche s'évanouira avec le lever du jour, de quelle sorte seront les réjouissances? Question, sans doute, grosse d'un tantinet d'espérance, mais de désespérance aussi. La vie de nos jeunes est aujourd'hui hasardeuse, avec un plein de folies les faisant rouler dans un véhicule social obsolète, bardé de vieilles ferrures rouillées et dont toutes les pièces sont contrefaites. Ils vont sur des chemins tortueux vers les pays de nuits blanches où, un à un, vont sombrer comme anges pris dans les rets grossiers du diable, et quel! Il faut sauver la belle Selwa de «l'individu décrépi» et «tous les soirs, des ploutocrates [qui] la suivaient en salivant, dégrisant à l'idée de passer quelques instants avec la femme de ma vie.» confie, dans un rêve démentiel, le narrateur de Nuit blanche (*) de Roshd Djigouadi., cinéaste, venu au roman avec Il aura pitié de nous (voir L'Expression, 27 avril 2005, p. 21). Il y a, dans Nuit blanche, comme dans le précédent, les ingrédients d'une haute facture pour écrire une oeuvre d'actualité. Et d'abord, par le sujet traité, le ton mis pour exprimer une passion sans mièvrerie, une colère sans débordement inutile; ensuite l'oeuvre s'élève, courageuse, pertinente, au niveau des préoccupations universelles de toutes les sociétés vivantes. Plus simplement, les clairs symboles utilisés révèlent la sensibilité, voire la douleur, de l'auteur, amoureux de son pays, face aux déboires d'une partie de la jeunesse mise à l'encan par une certaine classe avide d'autorité, de gain facile, aimant le luxe et la luxure, et qui, pour ce faire, dénigre nos valeurs et insulte à la saine conscience populaire. Voilà que nous sommes en présence de nous-mêmes, responsables de nous-mêmes, et que nous devons rompre avec ce qui n'est pas nous, ce qui n'est pas issu de nos racines, c'est-à-dire ce qui ne nous ressemble pas. Nous sommes Algériens et nous sommes libres et ouverts au monde. Et je pense que Nuit blanche de Roshd Djigouadi est une allégorie prophylactique de la désillusion, un appel fort, souverain qui nous est adressé pour nous redresser et remettre les choses à l'endroit. Notre nuit blanche, passée à penser à l'avenir de notre pays, doit être plus que singulière: une nuit éveillée, sans sommeil pour construire notre preuve d'existence, notre rencontre avec nous-mêmes, et fût-elle une folie, cette nuit, pourvu qu'elle soit une folie douce, non celle qui se repaît de chimères. Y aurait-il donc des lectures à plusieurs niveaux de ce récit pathétique qui appelle à l'amour de l'autre, au respect de l'autre, à la fin de l'injustice, à la fin du mépris, à la fin du cauchemar du mal de vivre qui crève le coeur et fait exploser la raison de toute une génération de jeunes Algériens. C'est une histoire simple, écrite dans le genre synopsis, que nous raconte Roshd Djigouadi. Aissa est un enfant de Baraki, une banlieue d'Alger, «à un jet de tir-boulettes de la décharge Oued Smar». Il est issu d'une famille aux ressources fort modestes. Il va être mis à l'épreuve de l'héroïsme à travers des situations dignes d'être rapportées dans un grand thriller hollywoodien. Comme il s'agit d'un vécu algérien, l'incroyable histoire pourrait paraître de mauvais goût. Mais la réalité est là, pesante, sensible, réfléchie. Aissa est arrêté pour avoir assassiné sauvagement Lazrag qui «est plein aux as» ainsi que l'affirme Selwa, la fille du Cordoba club. Elle «était habituée à distinguer les nababs de ceux qui suent sang et eau» et qui semble avoir assez d'amour pour Aissa, dont elle était la fidèle amie, à l'époque où, lui-même, était barman «dans un monde de ratés». Elle l'encourage à rencontrer ce richissime affairiste auprès de qui, il découvre bientôt le monde et le mode de vie où tout est possible quand on cède aux fantasmes du vice, à la corruption et à l'argent mal acquis. Y aurait-il une morale à l'histoire? Le romancier l'aurait-il trouvée en l'imaginant dans un revers de main divine? Aissa, dans un sursaut de bonne conscience soudaine, voulait sa paix, en effet. Il renonce à la vie crapuleuse. Touché par la grâce divine ou éprouvé par le diable, il élimine enfin Lazrag, le plus vil des hommes, la représentation même du mal, mais qu'importe! Le diable est assassin, il lui prête son bras pour immoler le blasphémateur qui se rit de Dieu. Le témoignage de Aissa est comme arraché par le fer, ce fer qui lui a servi à accomplir un geste miraculeux que l'on ne saurait jamais si c'est un vrai crime en vertu de sa nature propre ou si c'est un crime de maladie à l'usage de tout désespéré. (*) NUIT BLANCHE de Roshd Djigouadi APIC-Editions, Alger, 2007, 190 pages.