Le rappel aux affaires du secrétaire général du RND a mis sur le gril analystes et observateurs qui n'en finissent pas d'essayer de trouver la clé à ce «come-back». Au matin de l'ouverture du troisième congrès du Rassemblement national démocratique (RND), Ouyahia était un homme «heu-reux». Comment ne pouvait-il pas l'être alors qu'il arrivait face à ses ouailles auréolé d'une nouvelle casquette, celle de chef du gouvernement, fraîchement octroyée par le Président Bouteflika? Ce rappel, outre de mettre un terme à une courte traversée du désert, remet sur selle un homme qui estime avoir encore beaucoup de choses à donner au service de la République. Pour le secrétaire général du RND, ce «rappel-promotion» est en fait la cerise sur le gâteau alors qu'il tient fermement entre ses mains les rênes du parti. C'est aussi un retour psychologique qui s'impose autant à ses partisans, ou ses critiques au RND, qu'à ses partenaires de l'Alliance présidentielle et plus largement au champ politique. Ce retour enfin, fait un sort à la manière peu élégante avec laquelle il a été «débarqué» un jour de mai 2006. C'est donc un homme comblé, conforté et sûr de lui qui arrivait ce 25 juin devant le congrès du parti. Du coup, le «discours-cadre» prononcé devant les congressistes a changé d'objet et de tonalité. Les vraies questions Plus qu'en patron de parti, Ahmed Ouyahia s'est exprimé comme chef du gouvernement, transmutation qui apparaît dans l'état des lieux qu'il fit de l'économie nationale dont il dressa un sombre inventaire. Et pour cause! De fait, le tableau, peu reluisant, qu'il fait de l'économie nationale a de quoi inquiéter. Or, Ahmed Ouyahia qui n'est pas connu pour être un homme adepte de l'autocritique, n'a pourtant pas été avare en reproches qui peuvent, en filigrane, être interprétés comme autant de blâmes pour une équipe qui, à un ou deux éléments près, est la même que celle qu'il quitta en mai 2006. Recadrant les problèmes dont, selon lui, souffre l'Algérie, M.Ouyahia affirme que c'est «(...) l'insouciance, la médiocrité ainsi que les égoïsmes individuels qui prennent le dessus sur la collectivité, sur nous-mêmes, sur notre patrie», donnant ainsi le ton à un discours où le secrétaire général du RND énuméra pêle-mêle les «maux» qui, selon lui, entravent le développement du pays. En un mot, le nouveau chef du gouvernement dresse un tableau sévère de l'économie d'un pays, sinon à l'arrêt, du moins loin de réaliser le minimum indispensable à sa croissance et à son autosuffisance. Un constat: «Notre pays est toujours gravement dépendant des seules recettes du pétrole, y compris pour garantir notre alimentation importée», martèle Ahmed Ouyahia devant le congrès de son parti. Cela aurait été un euphémisme, venant de la part d'un citoyen ordinaire, mais émis par le chef du gouvernement fraîchement nommé, l'acte vaut le détour. En effet, M.Ouyahia énonce ce que spécialistes et journalistes n'ont cessé de répéter ces dernières années, notamment en ces temps d'envolée des prix des matières de consommation courante que l'Algérie paie au prix fort et est incapable de produire ou de fabriquer à suffisance. Ouyahia va encore plus loin et relativise notre apparente aisance financière actuelle -qui n'est pas le fruit d'un travail collectif et productif mais due aux seuls hydrocarbures- comme de se référer à la réduction de notre dette extérieure, s'interrogeant: «Est-ce à dire que tout va bien? Et à dire que l'Algérie s'est enfin libérée d'une dépendance économique excessive de l'extérieur? Est-ce à dire qu'elle a libéré ses citoyens de la dépendance envers l'aide de l'Etat? Est-ce à dire que tous nos compatriotes sont heureux dans leur quotidien et rassurés sur leur avenir? La réponse est assurément non!» Donc, d'emblée, Ahmed Ouyahia va au fond des choses et situe la problématique, en se montrant offensif et en recentrant le débat sur les vraies questions qui ont grevé et freiné notre développement. Contrairement à son prédécesseur, M.Belkhadem - lequel n'a pas voulu prendre en compte les maux qui sont ceux du pays marqué par le phénomène harraga, celui des kidnappings, cela sans évoquer la fuite des cerveaux, qui sont autant de faits sociaux qui demandaient attention et prise en charge de la part des gouvernants -, M.Ouyahia semble avoir fait le choix de dire la vérité, du moins ce que «monsieur Tout-le-monde» sait et qu'il n'est plus politique de minimiser ou encore de cacher. Il y a du travail dit-il, «il faut retrousser les manches», affirmait le nouveau chef du gouvernement qui précisa, lors d'une conférence de presse, sa «nouvelle» philosophie du pouvoir, mais pas de petites phrases ni de mots sibyllins. Une «mise au point» cependant, se démarquant de M.Belkhadem - que d'aucuns peuvent assimiler à une pique lancée à l'endroit de son prédécesseur - Ahmed Ouyahia affirme: «Il y a, je pense, une différence de tempérament. Chacun gère avec son propre style. Me concernant, je vous le dis clairement, j'exercerai mes attributions constitutionnelles.» Dire la vérité Qu'on se le dise: M.Ouyahia est venu pour travailler, relancer la machine et assumer sa gestion des affaires publiques. M.Belkhadem avait, en maintes occasions, rappelé qu'il s'occupait de la «coordination» du gouvernement. Concernant le soupçon qu'il puisse briguer un destin national, Ahmed Ouyahia rappela qu'il a déjà déclaré son soutien à M.Bouteflika, «(...) le 28 août 2004 à Constantine, lors de l'université d'été du RND. Ce jour-là, j'avais dit à vos confrères que si Abdelaziz Bouteflika voudrait un autre mandat, je ne serais pas candidat! Je n‘ai donc pas changé», fermant ainsi un chapitre qui, à l'évidence, n'est pas présentement de son ressort. Certes! Certes! Mais l'assurance de son propos, la hardiesse de son ton, relevées par les analystes, montrent un Ouyahia sûr de lui et de sa «plausibilité» en réserve de la République. Voilà en tout état de cause un Ahmed Ouyahia replacé au centre de l'échiquier politique national à un moment névralgique de la construction de l'Etat. D'autant plus que des dossiers urgents attendent ses décisions alors qu'il n'y a plus de temps à perdre. Justement, l'échéance présidentielle se profile à l'horizon et un programme à achever: celui du Président. Aussi, dès son premier Conseil des ministres, M.Ouyahia a tracé les axes de travail de son gouvernement dont le «renforcement de la cohésion et la solidarité gouvernementale [constituent la] condition essentielle de l'efficacité de l'action», indique le communiqué du gouvernement. La rentrée scolaire, les micro-crédits, le secteur agricole figurent parmi les priorités de la relance que veut initier le nouveau chef du gouvernement. Des défis sont donc à relever alors que les délais sont courts. Il ne fait pas de doute cependant que M.Ouyahia aura à prouver chaque jour que sa désignation constitue le bon choix. Aussi, faut-il s'attendre à un effet Ouyahia? Certainement.