La Turquie est menacée de replonger dans une grave crise politique, avec en ligne de mire, de probables élections anticipées, si la Cour constitutionnelle décide, dans les jours à venir, d'interdire le parti islamo-conservateur au pouvoir, accusé d'activités antilaïques. La Cour doit entamer demain ses délibérations sur l'action en justice intentée contre le Parti de la justice et du développement (AKP), issu de la mouvance islamiste. La procédure vise aussi le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan,et le président Abdullah Gül. M.Erdogan a appelé hier à «l'union et l'unité» du pays. «Nous avons fait des erreurs, c'est possible. Mais c'est devant le peuple qu'il faut rendre des comptes pour cela», a-t-il dit. Au pouvoir depuis 2002, large vainqueur des législatives de 2007, l'AKP s'est attiré depuis, les foudres des milieux prolaïcs en voulant légaliser le voile islamique dans les universités, sujet hautement sensible dans ce pays majoritairement musulman, mais fondé sur une stricte laïcité. La décision des onze magistrats, qui requiert une majorité de sept voix, est attendue au bout de quelques jours. A partir de demain, les juges se réuniront tous les jours pour délibérer, a annoncé le président de la Cour, Hasim Kiliç. «Je ne sais pas si la décision sera prise dans trois jours, ou bien dix, mais nous travaillerons sans arrêt». La justice demande la dissolution du parti. Elle demande aussi que 71 de ses dirigeants, dont le Premier ministre et le chef de l'Etat, soient interdits d'appartenance à un parti politique pendant cinq ans. De l'avis général, si l'AKP venait à être dissous, hypothèse privilégiée par la plupart des analystes, des législatives anticipées devraient être organisées. Le parti au pouvoir, qui dénonce un «coup judiciaire», a annoncé avoir mis au point des solutions de rechange, dont la possible création d'une nouvelle formation pour accueillir plus de 300 députés de l'AKP qui deviendraient indépendants en cas de dissolution. Selon les sondages, le parti qui succéderait ainsi à l'AKP est sûr de remporter les élections. Et de l'avis des juristes, M.Erdogan pourrait retourner au Parlement comme député indépendant. Mais un an après la victoire de l'AKP, avec 47% des voix, aux législatives de juillet 2007, le gouvernement Erdogan se retrouve affaibli sur la scène politique. La procédure contre l'AKP a été lancée en mars par le procureur de la Cour de cassation, Abdurrahman Yalçinkaya, après la décision du gouvernement de lever l'interdiction du port du foulard islamique à l'université. L'annulation de cette révision, en juin par la Cour constitutionnelle, a été interprétée comme un signe précurseur d'une interdiction de l'AKP, formation née sur les cendres de partis islamistes dissous pour activités antilaïques. Les tensions sont plus que jamais exacerbées entre les islamo-conservateurs et le camp laïc, mené par l'administration judiciaire et universitaire ainsi que par l'armée. Un projet de renverser le gouvernement a provoqué l'arrestation de nombreuses personnalités prolaïques, dont d'influents ex-généraux. La contagion de la crise financière américaine, le pétrole cher et des résultats décevants en matière de croissance et de lutte anti-inflation ont porté un coup supplémentaire à la popularité du gouvernement. L'AKP a, en outre, perdu son élan proeuropéen, alors que des négociations d'adhésion entre Ankara et l'UE se sont ouvertes en 2005. Et nombre de commentateurs pensent que même si le parti n'est pas interdit, des élections anticipées semblent la meilleure solution. «Le bilan de l'AKP depuis sa victoire électorale est sombre. Il n'a pas su convaincre les gens qui sentent que la République laïque est menacée», affirmait, récemment, Sedat Ergin, rédacteur en chef du journal libéral.