La Turquie renoue-t-elle avec la violence? Un attentat meurtrier a ébranlé dimanche soir, la métropole du Bosphore au moment où le sort du parti au pouvoir est en sursis. La Turquie semblait privilégier la piste des rebelles kurdes, hier, après le double attentat qui a fait 17 morts à Istanbul, dans un pays sous tension, où la justice a commencé à délibérer sur une possible interdiction du parti islamo-conservateur au pouvoir. Le Parti de la justice et du développement (AKP), du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, qui dirige le pays depuis 2002, risque d'être dissous pour activités antilaïques. Ce scénario replongerait le pays dans la crise politique, avec en ligne de mire, la perspective d'élections anticipées. Dimanche soir, deux bombes ont explosé à Istanbul, sur une avenue commerçante de la rive européenne de la ville, où déambulaient des centaines de personnes dans la fraîcheur de la nuit. Dix-sept personnes, dont cinq enfants, ont été tuées, a annoncé le gouverneur de la première métropole du pays, Muammer Güler. Une cinquantaine de blessés, dont six dans un état grave, étaient toujours hospitalisés hier, selon le gouverneur. Une fillette de 12 ans, notamment a été tuée par des éclats qui l'ont touchée en plein coeur. «Il ne fait aucun doute qu'il s'agit d'une attaque terroriste», a déclaré aux journalistes M.Güler, soulignant que les autorités visualisaient les enregistrements des caméras de surveillance et menaient l'investigation sur les liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, rebelles kurdes). «Evidemment, on voit un lien avec l'organisation séparatiste», le PKK, a-t-il dit, ajoutant que les détails de l'enquête seraient rendus publics dans les plus brefs délais. «Il y avait deux engins (...) Tous deux étaient disposés dans des poubelles. Ils ont explosé à 10 ou 12 minutes d'intervalle. Après la première explosion (qui n'a pas fait de morts), les gens se sont, bien sûr, rassemblés et c'est alors qu'est survenue la deuxième explosion, qui a fait des morts», a expliqué M.Güler. Selon des témoins, la seconde déflagration était beaucoup plus forte que la première, étayant la thèse d'un piège destiné à faire autant de victimes que possible. La chaîne d'information NTV, ainsi que plusieurs journaux, ont désigné le PKK. Pour les quotidiens Hürriyet et Vatan, il ne fait aucun doute que ces attaques sont l'affaire du PKK, affaibli par des offensives de l'armée turque dans le sud-est du pays et dans le nord de l'Irak, où des centaines de rebelles se sont réfugiés. Le chef de l'opposition au Parlement, Deniz Baykal, a lui aussi pointé du doigt le PKK. «Les autorités pensent aussi que c'est l'affaire du PKK», a souligné à Istanbul le chef du Parti républicain du peuple (CHP). Plusieurs attentats survenus à Istanbul ont été attribués dans le passé au PKK, qui se bat depuis 1984 pour l'indépendance du Sud-Est anatolien, peuplé en majorité de Kurdes. Selon les journaux, le type d'explosif utilisé est le même que celui utilisé dans un attentat qui avait fait dix morts l'an dernier à Ankara et avait été attribué par les autorités aux rebelles kurdes. Des groupes armés islamistes et d'extrême gauche sont également actifs à Istanbul. Une cellule turque d'Al Qaîda avait été tenue pour responsable d'attentats à Istanbul en novembre 2003, qui avaient fait 63 morts et des centaines de blessés. M.Erdogan a annulé un Conseil des ministres et s'est rendu à Istanbul, au chevet des blessés. Le double attentat survient alors que la Turquie traverse une période de tension. Vendredi, un tribunal d'Istanbul a décidé de juger des putschistes présumés soupçonnés de vouloir renverser le gouvernement issu de la mouvance islamiste. L'attentat coïncide également, à quelques heures près, avec le début à Ankara, hier matin, des délibérations de la Cour constitutionnelle concernant une possible interdiction de l'AKP. Le secrétaire général de l'Otan, Jaap de Hoop Scheffer, le chef de la diplomatie italienne Franco Frattini et l'Union européenne, ont condamné hier les attentats.