Comme un train suisse, pas une minute de retard, le fourgon démarre d'Akbou avec à son bord 12 passagers. Le voyage guidé commence à 1000 DA la place. Se rendre de la capitale de la Soummam à El Bahia ou vice versa ne pose désormais aucun problème. Ce n'est pas parce qu'il y a une nouvelle liaison ferroviaire, loin s'en faut. C'est parce que, justement, il n'y en a pas. Plusieurs transporteurs dits clandestins, assurent alors la liaison Akbou - Oran. Un simple coup de téléphone suffira pour se donner rendez-vous au rond-point de Guendouza (Akbou) ou à la place d'Armes (Oran), lieux de départ. Seulement, pendant la saison estivale et celle de la cueillette des olives, il faut confirmer la réservation plusieurs jours à l'avance. Les places sont très convoitées pendant ces deux périodes où les populations se déplacent en masse. Ces clandestins exercent ce métier, depuis, maintenant, plus de 15 ans. L'absence quasi-totale de transports publics sur cette ligne a motivé la prolifération des ces «clandestins» qui proposent des prix largement abordables. De nombreux villageois venant de Belagal, Ouizrane, Ath Sassi, Mokka, Aït Rzine, Guendouze, Ighil Ali, Seddouk, Akbou, Aouzellaguen...se rendent à Oran. Douze heures de voyage Il est 20h. Comme prévu, le fourgon devant rallier Oran est arrivé. Il stationne près d'un café à Guendouza dans la commune d'Akbou. Aucune minute de retard. Les passagers ayant réservé trois jours auparavant, prennent place. Le fourgon démarre aussitôt. Le chauffeur annonce à ses passagers: «Si la circulation est fluide et que les barrages de route ne nous retardent pas, nous serons à Oran vers 5h du matin Inchallah.» D'Akbou à El Bahia, le véhicule transportant, au moins douze passagers, fait, au maximum, douze heures de route. Au total, de l'est à l'ouest du pays, six wilayas seront traversées: Bouira, Médéa, Aïn Defla, Chlef, Relizane et Mostaganem. Le voyage donne l'impression d'une excursion guidée par une agence de voyages dont les propriétaires ne sont autres que des chauffeurs clandestins. Des chauffeurs, hors du commun, qui contournent les barrages de contrôle, qui excellent en matière de raccourcis. Une traversée clandestine légitimée par la force des choses. Déplacer, quotidiennement et clandestinement, des voyageurs d'Akbou à Oran et vice versa n'est pas une mission aisée. C'est un trajet à risque et doublement calculé. Le chauffeur doit prendre, à l'avance, ses précautions et éviter au maximum les tracasseries des gendarmes et des policiers. Le plus important dans la traversée est d'abord d'éviter les embouteillages. Et la nuit constitue le meilleur moyen pour contourner ce souci. Les routes de Aïn Bessam, Bir Ghbalou, (Bouira) qui mènent tout droit vers Berrouaghia (Médéa) et Oued Djer (Aïn Defla) sont les raccourcis les plus empruntés. Une véritable acrobatie sur une route tortueuse mais qui réduit de près de deux heures la durée du trajet. Les chauffeurs connaissent par coeur les routes. Mohamed, Samir, Kaci, Kamel, Tahar, Yazid, Moussa, Hacène, en tout, une vingtaine de transporteurs. Ils ont osé même pendant la tragédie nationale. Etant donné que la terre natale ne donne plus rien, les villageois de l'arch N'Ath Abbas, n'ont pas trouvé mieux que de s'installer à Oran et exercer divers métiers comme la boulangerie, la confection, la coiffure, l'hôtellerie et la restauration. Ils ont bravé même les années noires Des villages entiers dans les localités de Aït Rzine, Guendouze, Ighil Ali, Allaghan, Ighram sont désertés. Leurs habitants ont préféré vivre et travailler à El Bahia. «Ce flux migratoire à l'intérieur du pays a commencé il y a longtemps» lâche ironiquement Hacène, qui est, lui aussi, transporteur. Ces villageois ont les pieds à Oran et l'esprit au village. Les regards sont plutôt braqués vers les terres natales. L'olivier, tant vénéré est le seul et unique patrimoine qui attache encore ces villageois à leurs origines. Trouver un moyen de transport moins coûteux, était plus que nécessaire. C'est à partir de cette situation que les transporteurs clandestins sont nés et bravent toutes les «lois». En moins de 20 ans, plusieurs voyageurs ont fait, au moins, une trentaine de fois le trajet d'Akbou à Bouira, tout va bien. Au niveau de chaque barrage de contrôle, le transporteur est sûr de lui et ne risque rien. Aucune tracasserie n'est à craindre «Dhaglanegh wigui» (ils sont des nôtres Ndlr) murmure le chauffeur pour rassurer ses voyageurs. Les gendarmes et policiers assurant les contrôles de routes sont conscients de la réalité des souffrances sociales des gens. «Ils ne disent rien car ils nous connaissent tous et savent qu'il n'y a pas de transport direct d'Akbou à Oran» explique encore le chauffeur qui ajoute que «pour cette confiance, plusieurs de ces policiers nous confient leurs familles pour les déplacer» Franchies les portes de Raffour, la circulation devient un vrai casse-tête. Des poids lourds et véhicules légers venant de 26 wilayas de l'est du pays se rencontrent au niveau des routes de la wilaya de Bouira. A El Asnam, la circulation a connu quelques embouteillages qui se sont vite libérés. Arrivé à l'entrée de Bouira, le chauffeur prend la destination de la route de Berrouaghia via Aïn Bessam et Aïn Laloui. Après plus de 4 heures de route, le fourgon arrive à Khemis Miliana (Aïn Defla). «C'est de Chlef jusqu'à la sortie de Relizane, que les ennuis commencent», lâche le chauffeur. Sauf que le transporteur use et abuse, parfois, d'une malice sournoise, et le tour est joué. Les usagers se fient à ces conducteurs pour des raisons liées à l'assurance totale du service qu'ils fournissent, confiance affirmée et confirmée qu'ils démontrent, notamment vis-à-vis des familles. Ajoutez à cela le tarif appliqué à la portée de tout le monde. 1000 DA suffiront pour atteindre la destination voulue. Les mêmes chauffeurs assurent le transport des colis, de bagages, et tant d'autres d'objets. Le prix applicable est selon le volume du bagage mais qui ne dépasse pas 600 DA.