«Inacceptable», «regrettable», les réactions en Occident étaient aussi dures que prévisibles. Une levée de boucliers occidentale a accueilli, mardi, l'annonce par Moscou de la reconnaissance de l'indépendance des Républiques séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud par Moscou. Un véritable concert de réprobations. La secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice «regrette», la chancelière allemande, Angela Merkel, estime «inacceptable» cette reconnaissance, l'Otan «rejette» et la France veut faire condamner, par l'Union européenne, la Russie. L'Otan juge que cette reconnaissance «viole» l'intégrité territoriale de la Géorgie. Mme Merkel estime que celle-ci «(...) contredit le principe de l'intégrité territoriale, un principe de base du droit international des peuples et pour cette raison c'est inacceptable» et Mme Rice de renchérir: «L'intention évidente de la Russie de reconnaître deux zones, deux régions qui ont été en conflit, qui sont manifestement dans les limites des frontières internationales de la Géorgie, reconnues par plusieurs résolutions des Nations unies, me semble regrettable.» Ces condamnations et réprobations auraient été conséquentes et appropriées si les mêmes parties avaient fait une lecture uniforme du droit international et de son application par les Etats quand il s'est agi de la Serbie et de son intégrité territoriale, pour ne citer que le dernier cas des errements des politiques occidentaux. Ce qui est loin d'avoir été le cas, le «droit international» semblant dimensionné à l'aune et au gré de celui qui l'exprime. Du coup, il n'a pas la même résonance dès lors que s'en réclament les uns et/ou les autres. Ainsi, les Etats occidentaux qui mettent aujourd'hui en avant le droit international n'ont pas hésité, dans un bel ensemble, à reconnaître l'indépendance autoproclamée de la province serbe du Kosovo. Personne n'avait alors songé au droit international et à l'intégrité de la Serbie, membre à part entière de l'ONU dans sa composante géographique et ethnique reconnue, dixit Mme Rice, par les différentes «résolutions du Conseil de sécurité». Or, Washington, Berlin, Paris, Londres, qui ont rejeté unanimement la reconnaissance par Moscou de l'indépendance des deux Républiques séparatistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud, ont eux-mêmes ouvert cette brèche en reconnaissant imprudemment l'indépendance autoproclamée du Kosovo. Une indépendance qui n'a pas fait l'objet d'une résolution de l'ONU ou de négociations entre les Kosovars et la République de Serbie. La question n'est pas de défendre la Serbie, mais de faire ressortir la proportion de l'Occident de faire des lectures biaisées du droit international et de son application dans des contentieux comme ceux du Kosovo, de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, dans les territoires palestiniens occupés, au Sahara occidental, ou hier au Timor-Oriental. Or, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud avaient proclamé leur indépendance respectivement en 1994 et 1992. Même Moscou n'avait pas alors jugé politique de reconnaître deux Etats qui lui sont politiquement très proches. Prudence que l'on n'a pas observé chez les Occidentaux qui ont immédiatement reconnu une province (le Kosovo) qui s'est autoproclamée indépendante, du fait que les promoteurs de cette indépendance sont pro-occidentaux et que la Serbie n'avait pas d'atomes crochus avec ce même Occident, ce qui n'est pas le cas de la Géorgie qui frappe aux portes de l'OTAN. Ce qui fait que le précédent du Kosovo n'est pas aussi fâcheux que l'on pouvait le penser, du moins pas pour tout le monde, et entrait en droite ligne avec les luttes de leadership entre l'Occident et une Russie renaissante et à nouveau conquérante, retrouvant peu à peu la puissance perdue de l'ex-Union soviétique. En réalité, ce qui est inacceptable et regrettable dans le même temps est le fait que les puissances occidentales défendent l'intégrité territoriale de la Georgie -un pays qui leur est proche- invoquant pour ce faire le droit international, tout en faisant passer par pertes et profits l'intégrité territoriale d'un autre pays, la Serbie, pour cause de relations conflictuelles de Belgrade avec les chefs de file de l'Occident. Il est ici, en fait, strictement question d'intérêts et l'Occident ne se souvient du droit international que lorsque celui-ci sert ses intérêts. Car beaucoup de pays voient leur intégrité territoriale violée, sans susciter le holà de cet Occident qui observe alors un silence coupable, souvent complice, mais qui, aujourd'hui, montre les dents et se prétend défenseur du pauvre et de l'orphelin. Les dossiers du Sahara occidental (dont le cas est identique à celui du Timor -Oriental - ce dernier a trouvé sa solution par le bon vouloir de l'Occident qui a retiré son soutien au dictateur indonésien, Suharto) et des territoires palestiniens, notamment, dont les territoires sont respectivement occupés par le Maroc et Israël, n'ont jamais empêché l'Occident de dormir ou de trouver des justifications à des situations effectivement inacceptables, car en infraction avec la Charte de l'ONU et avec le droit international que l'Occident met aujourd'hui en avant. Aussi, la levée de boucliers, mardi, d'un certain nombre de pays représentant l'Occident est mal- venue et peu crédible au regard du droit international qu'ils prétendent défendre quand leur parti pris dans de nombreuses affaires similaires est flagrant et montre le peu de cas qu'ils font de la loi internationale dès que cela ne les arrange pas. En reconnaissant l'indépendance d'une province (le Kosovo), qui a fait sécession, l'Occident a ouvert la brèche à toutes les minorités en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique dont les premières retombées sont l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie reconnue dorénavant par Moscou. Un pas de plus vers le retour de la guerre froide.