Le président du Cnea estime impossible de réussir à régulariser seulement 10% des habitations concernées. La loi exigeant des propriétaires de bâtisses à l'état de carcasses d'achever leurs constructions est entrée en application depuis quelques jours. Premier à réagir, le Collège national des experts architectes (Cnea) se montre plus que jamais sceptique, voire pessimiste, quant à son application entière et rigoureuse. «En Algérie, depuis l'Indépendance, on nous a gavé, de lois qu'on se précipite de jeter aux oubliettes», regrette Abdelhamid Boudaoud, président du Cnea, dans une déclaration à L'Expression. «Le tiroir algérien est un puits», ironise-t-il. Selon notre interlocuteur, il existe actuellement en Algérie plus de 1.175.000 habitations inachevées. Le nombre, aussi infime qu'il paraîsse, comparativement au parc immobilier algérien, estimé à 7 millions de logements, se dresse néanmoins comme une hydre face aux pouvoirs publics. Selon M.Boudaoud, il est très délicat de contraindre les citoyens d'entamer les travaux d'achèvement de leurs constructions. «Ni les menaces brandies par les pouvoirs publics, ni les lourdes sanctions pénales n'infléchissent ces propriétaires» estime-t-il. Où réside la difficulté? «Tout le travail devra commencer au niveau des collectivités locales, c'est-à-dire au sein des APC. Jusqu'à présent, on n'a vu aucun P/APC se consacrer au côté urbanistique de son territoire. La preuve, ces cités érigées défient toutes les règles urbanistiques», répond Abdelhamid Boudaoud. Le président du Collège national des experts architectes indique, en outre, qu'il s'agit, en premier lieu, de responsabiliser les architectes, et leur donner les moyens nécessaires à même de mener leur mission à bon port. «Tel n'est pas le cas», déplore-t-il, avant de lancer: «Le délai de la nouvelle loi est de cinq (5) ans. Je défie quiconque si, au terme de cet ultimatum, on réussit à régulariser, seulement, 10% des habitations concernées.» M.Boudaoud semble savoir de quoi il parle. Pour étayer ses déclarations, il nous renvoie aux innombrables sites immobiliers réalisés sans tenir compte du plan architectural initial. «J'ai eu à visiter des sites qui, sur papier, doivent être construits sur une superficie de 300m2, mais sur le terrain, la superficie dépasse de loin celle prévue initialement» indique le président du Cnea. Ce dernier met à l'index les pouvoirs publics qui accordent peu ou pas d'intérêt au plan de recollement (le plan réalisé sur le terrain, Ndlr). Des cas de ce genre sont pléthore. Dans certains quartiers, même les plus huppés, il est érigé des bâtisses sans tenir compte des règles urbanistiques universellement admises. Il suffit d'interpeller les experts architectes sur ce volet, vous serez gavés d'histoires de ce genre, souligne-t-il. «Dernièrement, pour les besoins d'une expertise, j'ai eu à visiter une bâtisse composée de 14 pièces, sans pour autant qu'aucune d'entre elles ne soit dotée de fenêtre! Parce que cet immeuble est mitoyen à un autre lequel appartient à un autre propriétaire», raconte notre interlocuteur qui fait état d'un litige opposant les deux possédants. Lesquels se livrent au jeu du chat et de la souris au point où si «l'un avance d'un pas, l'autre en fait deux». «Comment réussira-t-on à mettre fin à ce genre de situations on ne peut plus délicates?», s'interroge le président du Collège national des experts-architectes et de répondre: «C'est au civisme de chacun, qu' il est fait appel.» Ceux qui empruntent le chemin menant à l'université des sciences et des technologies Houari-Boumediene (Usthb) de Bab Ezzouar, 10km à l'est de la capitale, peuvent en témoigner. Comment? En effet, en face de l'entrée principale de ce pôle universitaire, se trouve le fameux marché El Jorf. Là, les constructions inachevées donnant sur la route, s'érigent comme «un crachat sur la figure» de, non seulement Oscar Niemeyer, qui a réalisé ce joyau architectural, mais de l'ensemble des architectes algériens. Un autre casse-tête chinois évoqué, et dont le principal mis en cause est l'Etat, concerne les délais de délivrance des permis de construire. Certains citoyens, approchés par L'Expression, affirment attendre ce fameux papier depuis plus de deux ans! Sans rien voir venir. Alors que la réglementation veut que cette autorisation soit délivrée dans un délai ne dépassant pas les 90 jours. Comment Noureddine Moussa, ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, qui a les pleins pouvoirs sur son secteur, procédera-t-il pour mettre un terme au diktat des autorités concernées, à savoir les APC et les daïras quant à la délivrance des permis de construire? «Il est impensable qu'un dossier puisse traîner des années», indique le ministre de l'Habitat. Mais il ne s'agit là que d'un constat. Et entre constater, dire et faire, le long et profond fossé - les séparant - s'est creusé davantage!