Dans la campagne électorale en cours, un constat s'impose de lui-même. Les villes défilent, mais ne se ressemblent pas. Avant-hier, l'avion menant Ali Benflis à Jijel à peine atterri qu'un collègue de Jeune Afrique admirant le paysage alentour de l'aéroport, s'exclama, les yeux étincelant d'un éclair de bonheur, en disant: «Oh! que c'est beau!». Les Algériens ont-ils appris à apprécier leur pays sans lui trouver de tares susceptibles d'être livrées en pâture profondément déformées? Sûrement pas, puisque malgré d'aveuglantes évidences sur le terrain, rien ne trouve grâce à leurs yeux. Conservons donc l'appréciation de notre confrère tunisien et pressons-nous de pénétrer dans la ville des anciens Koutama qui, plus près de nous, a vu évoluer des personnalités aussi marquantes que Ferhat Abbas, le père des grandes secousses qui ébranlèrent le colonialisme français et Mohamed-Seddik Benyahia, mort en service commandé dans les méandres des règlements de compte de la politique étrangère. Des repères d'hier mais qui, heureusement, sont encore très vivaces dans la mémoire des Jijéliens, si vivaces que la salle où Ali Benflis a prononcé leurs noms vibra de toutes voix d'émotion sans parler des applaudissements qui les ponctuèrent. Deux hommes qui ont travaillé pour leur pays bravant la peur et les chausse-trapes... Ferhat Abbas grand déclencheur du mouvement (les AML) qui allait induire dans le processus de maturation du 1er-Novembre-1954 les éléments de la rupture définitive avec l'occupation étrangère, et Mohamed-Seddik Benyahia qui offrit à la diplomatie algérienne les armes de harcèlement les plus performantes contre l'injustice et les passe-droits des grandes puissances à l'égard du tiers-monde. Avec des maquisards du cru et des figures emblématiques des maquis de la région, sur le chapitre du patriotisme, Jijel a de quoi se mesurer aux régions algériennes les plus combatives de la guerre de Libération nationale. C'est sans doute la raison qui fait dire aux habitants de cette ville que la campagne entourant le chef-lieu de wilaya votera à 100% en faveur des candidats choisis par le FLN aux élections législatives. Quant à la ville de Jijel, même un grand nombre de citoyens interrogés nous ont fait part de leur inquiétude en déclarant que les citadins devront être autrement pris en charge pour les ramener à résipiscence et les faire voter FLN. Pourquoi un tel décalage entre la ville et la campagne? Un cadre de la mouhafadha de Jijel s'explique. La cause principale nous vient des semences morales et patriotiques que le FLN-ALN pendant la guerre ont réparties à travers la région et de ce que ces semences ont été réprimées dans le sang pendant une longue période. En vain bien évidemment. Ne dit-on pas, rappelle-t-il, que les ruraux sont par définition des conservateurs par excellence? C'est bien vrai. Alors ils ont conservé en mémoire toute cette panoplie de principes qui fait d'eux, aujourd'hui, les meilleurs défenseurs du FLN localement. Quant à la ville de Jijel et les contradictions qui l'ont traversée depuis 1988, son cas n'a pas échappé à la manipulation des partis islamistes qui ont, de tout temps, mis en avant la grosse tromperie que recèle leur prosélytisme. L'argent mal acquis étant par définition corrupteur, les islamistes ont toujours ciblé les couches de la population les plus démunies afin d'y planter leur chapiteau pour attirer ceux que le progrès social n'a pas encore réussi à intégrer dans la société par le travail. Thème cher à Ali Benflis qui, devant une foule d'environ 3000 personnes, s'était évertué à expliciter les grandes lignes du programme du nouveau FLN dont la modernisation en cours devrait se traduire sur le terrain par un réveil salutaire de la population. Selon des témoignages enregistrés sur le vif, jamais formation islamiste n'a pu drainer autant de militants et de sympathisants que ce parti (le FLN) qu'on croyait perdu à jamais... Avant de regagner Alger, des militants du FLN de Jijel nous ont assurés qu'ils étaient, eux aussi, sur le point d'entrer dans la danse pour gagner la ville de Jijel. «Dès demain, nous a déclaré l'un d'entre eux, nous ferons du porte-à-porte et le jour ''J'' nous irons, sans fausse honte, voter en famille.»