Ce court métrage parle d'une (parmi tant d'autres) obsession de l'homme des temps actuels. Un petit film de neuf minutes qui aura attendu 99 ans, l'âge de son réalisateur, pour voir le jour! Son titre, Du visible à l'invisible...Son auteur, le Portugais Manoel de Oliveira. Présenté en ouverture de la Mostra, en première partie de la soirée des frères Coen, ce court métrage parle d'une (parmi tant d'autres) obsession de l'homme des temps actuels, ce qui, pourrait-on penser, ne s'inscrirait pas (a fortiori) sur le registre des priorités du cinéaste de Porto, cette ville où il a vu le jour en décembre 1908... A l'origine, il y avait une idée, lancée par le Festival du film de Sao Paulo, de proposer à des cinéastes une commande qui s'articulerait autour des «invisibles situations» dans le monde d'aujourd'hui. Oliveira en a profité pour se livrer à une cocasse réflexion, puisqu'elle pose, avec beaucoup d'à-propos, la question (assez «antonionienne» du reste) de l'incommunicabilité. Là s'arrêterait la comparaison, car ici le «coupable» c'est le téléphone mobile et son intrusion dans la vie courante...Cet outil contemporain qui empêche, quand il sonne, une phrase de se terminer, une autre de commencer, comme le raconte Oliveira. Ses deux protagonistes, Ricardo, un Portugais de passage à Sao Paulo et Léon, son copain brésilien, tentent d'échanger entre eux, mais à chaque fois la sonnerie du téléphone de l'un ou de l'autre empêche cette conversation de commencer réellement... Dépités, et de guerre lasse, mais non défaits, ils décident, finalement, de se servir de cet obstacle pour...communiquer! Ils se résolvent à se parler par... téléphone interposé. L'un en face de l'autre... A quelques encablures, trois mois en fait, d'un siècle d'existence, Oliveira montre combien il est un homme de son temps. Il ne décrète aucune fetwa contre cet «outil», il montre seulement le désagrément qu'il peut causer, tout en n'occultant aucunement son utilité probante. Dans les cas d'urgence par exemple. Lorsque le besoin se fait extrêmement sentir, comme quand deux amis, sur un trottoir de Sao Paulo, se retrouvent et expriment une forte envie de prendre des nouvelles l'un de l'autre, par exemple. Mais cet esprit de synthèse si habilement filmé, avec la pensée qui l'accompagne, est la résultante d'un parcours des plus intéressants, pour ne pas dire des plus atypiques, dans le cinéma mondial. Son premier court métrage avait été financé par le père, propriétaire d'une usine de passementerie, en 1931. A vingt-trois ans, le jeune Manoel était fasciné par ce fleuve dans lequel il faisait des centaines de crawls, le Douro...Sinon, le reste de sa jeunesse, il le meublait en faisant des courses automobiles, des concours de saut à la perche. L'actuelle taille du presque centenaire cinéaste, renseigne sur ses aptitudes d'alors sur les sautoirs...En quarante ans, jusqu'en 1971, sa carrière se résumait à seulement deux films... Mais plus d'ennuis, surtout de la part du dictateur régnant Salazar...C'est dire combien il fut heureux de voir la Révolution des Œillets réussir, le 25 avril 1974, à déboulonner un régime totalitaire, même si ce soulèvement entraîna l'occupation de l'usine héritée de son père, par des travailleurs poussés par l'air du temps...Ce fut la faillite de l'homme d'affaires, en même temps que la naissance réelle, cette fois, du cinéaste qui a réalisé, depuis, plus de quarante films. Leurs caractéristiques ne sont qu'une, en fait, se déclinant en une phrase leitmotiv chez Manoel de Oliveira: «Préférer les faits aux effets»... Cette année, Cannes lui a décerné une Palme d'Or pour l'ensemble de sa carrière. Toujours cette année, sortira sur les écrans européens, son quarantième film Christophe Colomb l'énigme, avec, entre autres, une certaine Maria Isabel, 89 ans, dont soixante-huit de mariage avec Manoel de Oliveira qui fêtera ses cent ans, le 12 décembre 2008! Teza où le round-up d'une époque Haïlé Gérima, cinéaste éthiopien, qui se distingua par le passé par des films remarqués et remarquables Moisson, 3000 ans (1976), Bush Mama et Ashes and Embers (1987), a mis quinze ans, après Sankofa (1993) pour faire aboutir son film-fleuve que l'exilé de Washington (où il enseigne le cinéma), a consacré aux années du Négus Rouge, Mengistu Haïlé Mariam, cet officier qui renversa Haïlé Sélassié, l'empereur, Roi des Rois, adulé par son peuple pour avoir libéré son pays du joug italien. Après sa mort, l'Empereur déchu devint un symbole pour tous les rastas de la terre... Le coup d'Etat d'Addis Abéba survint à un moment où les utopies faisaient florès en Afrique et un peu partout dans le monde. Ce qui donna des idées aux opportunistes et aux dictateurs en gestation, de surfer sur cette vague qui entraînait des pans entiers de la jeunesse du monde. Alors, ce que Teza, le film de Gérima, proposait, était un véritable round-up d'une époque qui ne tint pas toutes ses promesses et qui, dans certains cas, vira au cauchemar les yeux bien ouverts! Sauf que le réalisateur, qui constituait longtemps un repère pour des vagues de cinéastes africains et blacks américains, a ouvertement, deux décennies après la chute du mur de Berlin, emprunté des sillons creusés et retournés plus d'une fois. Au final, la grande promesse d'une fresque réflexive sur un pays et un peuple, a vite tourné, au bout de la soixante-quinzième minute (sur deux heures vingt de film), à un portrait assez dogmatique du héros principal. Un peu gênant, dès lors que le propos était de mettre à bas ce mur des certitudes d'alors! Il y avait aussi une certaine gêne à écouter un réquisitoire, sans appel, contre le métissage. Faisant de la couleur noire celle de la victime et l'autre de l'oppresseur. Or, ce manichéisme a fait son temps. La traite des Noirs, érigée en commerce par des Blancs cupides, est un fait indéniable, Et aucun révisionnisme ne pourrait trouver prise là-dessus. Mais depuis, on a su que nombre d'esclaves ont été livrés aux marchands européens par des chefs locaux, africains! De même que le génocide rwandais, où la France et la Belgique ont trempé à un point que la raison ne peut imaginer, n'aurait pas eu cette ampleur si des autochtones n'y avaient pas pris une part active...Cela est aussi valable au Darfour...Ailleurs aussi on pourrait trouver des exemples similaires: Tell Zâatar, Septembre Noir, Sabra et Chatila, des rescapés palestiniens peuvent encore témoigner de la culpabilité de certains régimes arabes dans ces massacres...A Venise, ce qui a manqué à Teza, c'est le passage par ces déchirantes révisions qui vous rendent fort et crédible, surtout, ce qui aurait donné au personnage principal, Anberber, campé par Aaron Arefe, (à la ressemblance très troublante avec le monarque Haïlé Sélassié jeune), une texture plus humaine, car toute faite de nuances... Reste avec tout ça, à ne pas bouder le plaisir d'avoir retrouvé un cinéaste à la probité intacte, de même que tout cela n'occulte nullement, justement, les applaudissements nourris qui ont salué la projection de Téza, à Venise...