Depuis près d'un siècle que le réalisateur met son inépuisable vitalité au service d'un cinéma. Il est le plus vieux réalisateur au monde et s'apprête à tourner son 46e long métrage, Singularités d'une jeune fille blonde. Le cinéaste portugais, Manoel de Oliveira, qui fêtera vendredi son 100e anniversaire, met depuis plus de trois-quarts de siècle son inépuisable vitalité au service d'un cinéma exigeant. Né le 12 décembre 1908 à Porto (Nord) «officiellement», précise-t-il, car «comme beaucoup d'enfants de cette époque, j'ai été enregistré le lendemain de ma naissance». Volontiers secret, voire austère, Oliveira, persuadé que «le monde marche vers l'abîme», invite le spectateur à aller à l'essentiel: le sens de la vie et de la mort, la condition humaine, la générosité et l'humanisme. Refusant toute facilité, il clame haut et fort que «les films artistiques ne sont pas faits pour rapporter de l'argent ou pour satisfaire un public». Fils d'un industriel, qui l'emmène voir les films de Charles Chaplin et Max Linder et lui offre sa première caméra, le jeune Oliveira, athlète accompli, au physique de jeune premier, débute au cinéma à 20 ans comme figurant dans un film muet, Fatima miraculeuse. En 1931, il tourne un premier documentaire - toujours muet - Douro, travail fluvial, sur la vie des travailleurs du fleuve qui baigne sa ville natale. Acteur dans le premier film parlant portugais, La chanson de Lisbonne, en 1933, c'est surtout la réalisation qui l'intéresse et après plusieurs documentaires il se lance dans la fiction en 1942 avec Aniki-Bobo qui retrace la vie des enfants d'un quartier populaire de Porto. Cependant, la dictature qui règne alors au Portugal, peu propice à la création, l'éloigne des caméras. Il gère l'usine de textiles héritée de son père et entretient les vignobles familiaux, et ce n'est qu'en 1963 que sort son deuxième long métrage, Le Mystère du printemps, évocation de la Passion du Christ. A partir de 1971, un an après la mort du dictateur Salazar, Oliveira se lance dans une tétralogie dite des Amours frustrées, gagnant l'image d'un cinéaste exigeant qu'il impose en 1985 avec la sortie du monumental Soulier de Satin, fresque de près de sept heures, tirée de la pièce de Paul Claudel. Poussé par «un besoin très fort de tourner», il réalise, à partir de 1988, un film par an en moyenne et travaille avec les plus grands acteurs comme l'Américain John Malkovich, les Français Catherine Deneuve et Michel Piccoli ou l'Italien Marcello Mastroianni. Ses films, où dialogues et musique prennent une place essentielle, ont la lenteur du Douro de son Porto natal, avec de longs plans fixes, semblables à des tableaux, et de lents mouvements de caméra qui s'attardent sur le détail des personnages. Plusieurs fois primé à Cannes ou à Venise, le cinéaste portugais, longtemps mal aimé dans son pays, aura attendu d'être octogénaire pour atteindre le grand public avec notamment, Je rentre à la maison (2000), où Piccoli incarne un vieux comédien qui s'interroge sur la solitude, la mort et la vieillesse après avoir perdu sa famille. En mai dernier, il avait reçu sa première Palme d'Or à Cannes pour l'ensemble de son oeuvre. «Recevoir des prix, c'est sympathique. Et puis c'est de l'argent pour faire des films!», déclarait, cet été, avec malice, le vieil homme à la démarche toujours alerte. Mais, ajoutait-il aussitôt: «Le plus beau cadeau qu'on puisse me faire, c'est me laisser continuer à faire le reste de mes films. Et il y en a pas mal!». C'est tout le mal qu'on lui souhaite!