Ali Ahmed Sa'id alias Adonis, le célèbre poète d'origine syrienne vivant au Liban, a eu un avis des plus critiques sur les régimes arabes. C'est la troisième fois qu'il vient en Algérie. Son air paisible et serein tranche avec son propos: solennel, sentencieux, presque moralisateur. Adonis fustige les régimes arabes et n'y va pas avec le dos de la cuillère. Il s'insurgera contre la déviation de l'acte de résistance. Il accuse ceux qui instrumentalisent la religion pour arriver au pouvoir. «Vers une résistance globale et radicale» est le thème de sa conférence. Radical aussi dans cette prise de position, Adonis fera cette allégation qui, sans doute, en fera jaser plus d'un: «Cela fait 25 siècles que les pays arabes sont entachés de sang.» Le ton est donné. Adonis fera l'historique de la notion de «résistance laquelle était au départ politique et intellectuelle». Or, aujourd'hui et ce, depuis la deuxième partie du siècle dernier, elle est devenue à caractère plus religieux. Adonis le criera haut et fort qu'il est contre tout «Etat bâti sur la religion», autrement dit, «en tant que système qui arrache à l'individu son identité», évoquant par là les régimes totalitaires. Il en donnera comme exemples le Liban, la Libye, la Palestine, l'Irak, la Syrie... Qualifiée par le directeur de la Bibliothèque nationale, Amine Zaoui, de «poète différent, celui qui n'est pas d'accord même avec lui-même, et faiseur de grands adversaires», Adonis, ce «prophète», exhortera les pays arabes à séparer la religion du politique, disant n'avoir rien contre la foi, qui est «une conviction personnelle» mais rejetant en bloc son intrumentalisation au sein de la société, tout comme le Livre Saint s'il est pris comme étendard idéologique. A bannir, selon lui. «Si l'on se battait jadis contre la bourgeoisie, aujourd'hui, les tenants du pouvoir font régner l'ordre établi selon des préceptes archaïques, fallacieux, fondés sur la religion.» Adonis parle de «sacralisation du passé» et d'«aliénation». Ce à quoi il tend, mais le mot pourtant qui n'est pas avoué, est celui de «laïcité», sans cela, la démocratie est un leurre, selon lui. Evoquant la langue arabe, celle-ci est passée de «révolutionnaire à propagandiste, appelant à la violence». Y compris après la mort du Prophète (Qsssl) où trois califes ont été assassinés. «La culture arabe est religieuse», fera-t-il remarquer. Et de renchérir véhémentement: «Il n y a pas d'Etat de droit dans les sociétés arabes.» Adonis est clair: «Je suis avec le résistant dans son esprit de lutte mais contre lui s'il s'agit de religion. Je suis contre une seule religion au Liban et par conséquent contre tout système oppressif dont chacun croit détenir la vérité», ce qui lui fera dire par la suite, encore plus irrévérencieux: «Nous n'avons pas de système démocratique, plutôt des dictatures éclairées.» Et de dire un peu plus loin: «La crise de l'islam n'est pas dans sa foi mais dans sa lecture». Le poète exhortera le monde musulman à accepter la critique de cette religion qui en a besoin. «L'Islam n'en sera que plus enrichi.» Et d'en finir avec cette interrogation à méditer: «Que peuvent apporter les pays arabes s'il se mettent autour d'une table, pour résoudre les problèmes de l'humanité? Rien!» argue-t-il avant de clore avec cette phrase de non-retour: «Pourquoi résistons-nous et empêchons-nous les autres de faire de même?» Une allusion à peine voilée à l'intolérance qui fait ravage hélas! dans certains pays musulmans. Devant une salle médusée, seul un membre du parti politique El Islah a osé le contredire mais au nom de toute l'assistance, laquelle a immédiatement réagi. Même l'écrivain Rachid Boudjedra présent au premier rang, n'a rien trouvé à redire. Or, un débat contradictoire ici aurait été des plus salvateurs. Adonis a été franc, mais pessimiste. Même, osons le dire «radical» lui aussi envers ces pays arabes qualifiés d'«arriérés» mais dont il reconnaît pourtant faire partie. Mais peut-être que ce pessimisme-là est nécessaire pour que se réveillent les nations? Pour que parle, enfin la raison, comme l'a si bien dit, par ailleurs, Adonis en s'adressant au public, à l'égard d'Amine Zaoui en le noyant d'éloges: «Ne l'écoutez pas, il a parlé avec son coeur, pas avec son esprit!»