Arrivé en grande pompe à la Bibliothèque d'El Hamma, il est accueilli dans le salon d'honneur. Adonis, entouré d'une nuée de journalistes et photographes, parle surtout de poésie, exhortant les pays arabes à ne plus penser au prix Nobel de littérature. Il s'abstient d'en parler. Lui, qui a été récemment nominé. Est-ce une façon de sous-entendre qu'aucun Arabe ne pourra prétendre un jour à ce titre? Et pour quelle raison déjà? Du fait d'être arabe justement? Abordant le sujet de la poésie, Ali Ahmed Sa'id, autrement dit le grand Adonis, dira que celle-ci ne peut rien devant un criminel car l'impact de ce dernier est plus fort. «J'écris la poésie pour mieux me comprendre moi-même et pour mieux comprendre le monde et l'être humain, donc sans la poésie, je ne serais rien!». Celui qui a emprunté son surnom à un dieu phénicien, symbole du renouveau cyclique et de la beauté, fera remarquer que la poésie n'est pas là pour résoudre les problèmes dans le monde, encore moins à apporter une quelconque solution ou changement mais plutôt une mise en garde, une façon de prévenir pour mieux guérir. «Elle se veut une image harmonieuse de la réalité, de la vie et de l'être humain». Adonis donne encore une nouvelle claque aux Arabes à qui il reproche leur passivité. Or, le changement argue-t-il ne vient pas par le truchement des politiques, il est d'abord une culture qui s'apprend et s'applique au jour le jour. Ce poète et critique libanais aura cette jolie phrase alliant l'amour des vers à l'amour tout court: «La poésie, comme l'amour, ne peut pas changer. L'amour change les deux amants qui vivent leur amour et la poésie change celui qui écrit de la poésie et celui qui sait lire...» Ainsi parla cet éternel artiste, subversif et toujours controversé! C'est tôt que naît sa passion, d'ailleurs, pour la poésie. Ebahi par sa verve unique en son genre, c'est le président syrien de l'époque qui décide d'ailleurs de lui offrir une bourse pour ses études. Il sort diplômé en 1954 avec une licence de philosophie. En 1955, son appartenance et son combat pour le Parti national syrien lui valent six mois de prison. Une fois libéré, il s'enfuit à Beyrouth et fonde avec le poète Youssouf al-Khl le magazine Chi'r, revue subversive et controversée. Mais peu à peu, Adonis abandonne le nationalisme militaire pour le panarabisme, mouvement visant à réunifier les peuples arabes. La littérature prend aussi une plus grande place dans sa vie et il commence à traduire en arabe de grands poètes comme Baudelaire. En 1980, Adonis doit fuir le Liban à cause de la guerre civile. Il se réfugie à Paris en 1985 et devient le représentant de la Ligue arabe à l'Unesco. Influent, autodidacte et talentueux, Adonis est considéré aujourd'hui comme l'un des plus célèbres poètes arabes. De la même trempe que Nizar Kabbani et Mahmoud Derwich.