Le ministre des Finances pense qu'il est nécessaire de procéder à une reconfiguration de l'action économique si les prix du pétrole continuent à baisser. C'est alarmant. L'Etat risque de perdre tout contrôle sur ses réserves de change. Le matelas en devises, dont jouit notre pays, se trouve entièrement placé à l'étranger. «Toutes les réserves de change sont placées à l'étranger», a franchement déclaré le ministre des Finances, Karim Djoudi, en marge de la réunion du Conseil national économique et social tenu, hier, à la résidence El Mithak à Alger. Interrogé par L'Expression sur le montant réel des sommes placées à l'étranger, M.Djoudi nous a dit: «Vous avez toutes vos réserves de change qui sont installées à l'étranger.» A combien sont-elles estimées? lui avons-nous demandé. Un peu hésitant, M.Djoudi a fini par dire elles «sont de l'ordre de 135 milliards de dollars». En d'autres termes, toutes les réserves de change sont «hébergées» à l'étranger dans des banques européennes et américaines. Cette déclaration fracassante suscite de sérieuses, voire de graves craintes. Pour la première fois, un représentant du gouvernement, le grand argentier qui plus est, s'exprime sur ce sujet. Alors qu'on parlait auparavant du placement de 43 milliards de dollars dans le Trésor américain, il apparaît en fait que c'est toute la «cagnotte» nationale qui «renfloue» les trésoreries extérieures. Les déclarations qui émanent de M.Djoudi, le premier financier de l'Etat, confirment que l'Etat n'a même pas gardé une somme de réserve sous la main. Toutes les rentes tirées par la flambée des prix du pétrole sont ainsi hors d'Algérie. Pourquoi? L'Algérie n'a-t-elle pas besoin de liquidités pour renforcer son économie? Le grand argentier du pays explique que ces réserves ne peuvent pas être placées dans notre pays. La règle en matière des réserves de change, souligne-t-il, veut qu'une monnaie en dollars ou en yens ne peut pas être placée en Algérie. «Ici nous plaçons du dinar», a-t-il expliqué. Or l'argument avancé par M.Djoudi est loin de tenir la route. Le gouvernement algérien n'est pas obligé de mettre tous ses fonds en devises à l'étranger. Bien au contraire, il a la possibilité de sauvegarder une partie et même la totalité de ses réserves au niveau des banques ou du Trésor public. Dire que la devise doit être placée dans le pays d'origine, est une galéjade. Ce n'est pas une obligation. Preuve, la disponibilité des différentes monnaies au niveau des banques publiques est indispensable dans les transactions. Le ministre explique que «lorsque vous disposez de monnaies en devises, vous avez deux possibilités: soit les placer dans des actifs à haut risque, soit dans des actifs sans risque». Se voulant rassurant, le patron de la finance affirme que «l'Algérie a placé ses réserves dans des actifs sans risque qui porte une faible rémunération au niveau des banques centrales». A la question de savoir si cet argent ne risque pas d'être utilisé dans les plans de sauvetage des banques en faillite, le ministre assure que les avoirs de l'Algérie sont sécurisés. Sachant que le problème des liquidités se pose avec acuité dans les pays développés, en particulier aux Etats-Unis, le recours aux ressources de l'Algérie n'est pas une hypothèse hasardeuse. Même si les réserves sont placées dans des banques centrales, il n'en demeure pas moins que l'Etat perd son contrôle sur ses avoirs. Ce dernier ne pourra pas récupérer son argent à n'importe quel moment. Le retrait des réserves de change ne sera pas une simple affaire. Si jamais l'Algérie décide de récupérer ses dépôts, elle doit passer par plusieurs étapes. Ce qui laisse déduire que la gestion des fonds risque d'être compromise. L'histoire l'avait d'ailleurs démontré à mainte reprises. L'Irak, la Libye, l'Iran sont des exemples concrets. Nul n'ignore, en effet, le gel des avoirs de ces pays par les Etats-Unis en 1980 et en 1990. L'Algérie n'est pas à l'abri de ce scénario. Au cas où elle adopterait des positions qui dérangent les intérêts des pays concernés, elle pourrait être confrontée au même scénario. En résumé, le placement de la totalité des réserves de change pourrait constituer un véritable danger pour l'Algérie. La porte-parole du Parti des travailleurs a d'ailleurs mis en garde à ce sujet, lors de la conférence de presse qu'elle a animée mercredi dernier. Mme Hanoune a appelé, haut et fort, à la récupération de cet argent. Par ailleurs, s'exprimant sur la crise financière mondiale et ses retombées sur l'Algérie, le ministre des Finances a rappelé encore fois que les bons choix qui ont été pris en matière de stratégie économique permettent aujourd'hui au pays de se protéger dans le court et le moyen termes. «Il est évident que si les prix du pétrole continuent de connaître une baisse significative, nous sommes bien évidemment dans la nécessité de reconfigurer notre action économique sur le moyen terme», a-t-il concédé.