Doyen de la faculté des sciences économiques, des sciences de gestion et des sciences commerciales à l'université Abderrahmane Mira de Béjaïa, Farid Yaïci analyse dans cet entretien, la situation de l'économie algérienne dans le cas où la crise économique mondiale persiste. -Quelle lecture faites-vous des prévisions du FMI qui s'attend à une récession encore « plus longue et intense » à l'avenir ? Il faut souligner que le Fonds monétaire international (FMI) a, depuis le début de la crise actuelle, régulièrement révisé à la baisse ses prévisions de croissance du produit intérieur brut (PIB) mondial. Les prévisions de croissance du PIB mondial publiées le 19 mars dernier, soit quelques jours avant la réunion du G20 (groupe des 20, pays les plus riches de la planète) qui s'est tenue à Londres le 2 avril, sont encore plus pessimistes que les précédentes. Le FMI annonce, en effet, que la croissance mondiale devrait être négative pour la première fois depuis 1945. La baisse serait comprise entre 0,5% et 1%. Les raisons de cette baisse seraient dues à la dégradation de la situation économique dans les grands pays riches.Ces derniers devraient connaître une grande récession, avec un recul de 3% à 3,5% de leur PIB. La baisse du PIB aux Etats-Unis serait de 2,6%. Au Japon, elle serait de 5,8%. Le PIB dans la zone euro perdrait 3,2%. Enfin, dans les pays émergents et en développement, la croissance du PIB ne serait plus que de 1,5% à 2,5%. Le FMI impute cette dégradation de la situation économique mondiale aux retards accumulés dans la mise en œuvre de politiques globales stabilisatrices des conditions financières. Entre le premier sommet du G20 qui s'est tenu à Washington le 15 novembre 2008 et le second sommet qui s'est tenu à Londres au début de ce mois d'avril, la situation économique mondiale s'est encore aggravée. Cela montre que la confiance n'est pas encore revenue sur les marchés financiers, que la croissance économique ne se décrète pas et que la reprise économique mondiale prendra le temps que prendront les restructurations nécessaires dans les secteurs financier et industriel. Les responsables algériens en charge des dossiers économiques continuent à défendre l'idée selon laquelle l'Algérie serait à l'abri de la crise. Etes-vous d'accord avec cette conclusion ? Je ne pense pas qu'aujourd'hui les responsables algériens en charge des dossiers économiques continuent à croire que l'Algérie serait à l'abri de la dégradation de la situation économique mondiale si celle-ci venait à perdurer. Tout le monde sait que l'économie algérienne est quasiment dépendante de ses hydrocarbures et que les recettes d'exportation du pays dépendent à 98% de ses recettes d'exportation des hydrocarbures. Le prix du baril de pétrole brut a presque été divisé par trois depuis une année. Le matelas financier confortable constitué par l'Algérie depuis des années risquerait de fondre si la dégradation de la situation économique mondiale venait à perdurer. Le problème est que l'économie algérienne est une économie contrainte par l'offre et qu'elle ne pourra pas se redéployer du jour au lendemain. Elle n'a pas aujourd'hui la capacité de diversifier sa production et encore moins ses exportations. Cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Il faut des investissements dans tous les secteurs autres que les hydrocarbures. Et, là aussi, cela prendra le temps que prendra la restructuration de l'économie algérienne. Une occasion de faire cette restructuration nous a été offerte lorsqu'il y a eu la baisse drastique des prix du pétrole brut en 1986 et la crise économique qui s'en est suivie dans la décennie 1990, nous l'avons ratée. Les prix du pétrole résistent à 50 dollars le baril. Pensez-vous que l'équilibre budgétaire de l'Algérie pourrait être sérieusement menacé, si les cours du pétrole chutent à nouveau au dessous des 50 dollars des suites du recul de la demande mondiale ? Pour avoir une idée précise des conséquences possibles d'une baisse drastique et durable des prix du pétrole brut, il faut se rappeler qu'il y a environ six mois, les réserves de change du pays ont atteint 140 milliards de dollars, le fonds de régulation des recettes 70 milliards de dollars et les excès de liquidités des banques 40 milliards de dollars. Cela n'a été possible que grâce à un prix fort du baril de pétrole brut qui a culminé, il y a une année à deux ans, à des sommets à 150 dollars. Avec des recettes de l'Etat provenant aux trois quarts des hydrocarbures, on devine aisément le manque à gagner avec un baril de pétrole à 50 dollars le baril. Avec ce prix de référence bas, cela pourrait se traduire par une chute considérable des recettes d'exportation du pays, une réduction de la capacité d'épargne budgétaire, un amenuisement des réserves de change, un tarissement du fonds de régulation des recettes et un assèchement de l'épargne accumulée. Une baisse de seulement 50% des prix des hydrocarbures (le prix du gaz étant indexé sur celui du pétrole), réduirait de moitié les recettes d'exportation de l'Algérie, d'un tiers les recettes de l'Etat et d'un quart le PIB. La dégradation du PIB entraînerait inévitablement une baisse des investissements dans le pays et aurait un impact négatif sur l'emploi. L'OPEP semble être prise en tenaille entre l'absence de discipline quant au respect des réductions de la production décidées et l'option d'aller vers une nouvelle coupe. Quels seraient, selon vous, les choix stratégiques en mesure d'éviter un scénario catastrophe, capable de mettre en difficulté les Etats membres, dont l'Algérie ? L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) est aujourd'hui responsable de moins de 40% de la production mondiale des hydrocarbures. En diminuant sans cesse sa production, elle risquerait de voir sa part de plus en plus marginalisée et les réductions incessantes dans les quotas de production n'auraient plus aucun effet sur les prix. En outre, la crise économique mondiale n'est pas conjoncturelle ; elle s'aggrave de jour en jour. Et, c'est la baisse de la demande mondiale d'énergie qui est responsable de la baisse des prix des hydrocarbures. Quant à l'indiscipline au sein de l'OPEP, elle s'explique, d'une part, par les différences de poids des membres au sein de l'organisation, entraînant des stratégies différentes et, d'autre part, par l'instinct de survie des membres les plus touchés par la crise les poussant à tricher et donc à dépasser dans les faits leurs quotas de production.