Tels des maquisards, dès l'aube, des milliers d'étudiants envahissent les quais des gares pour prendre le train et rejoindre ensuite le transport universitaire qui les conduira à la fac. Il est triste et impatient. Un bonnet bleu azur, prêté par une amie à la fac, des yeux hagards scrutant le ciel, un visage légèrement balafré, Walid, étudiant en 3e année à l'Ecole supérieure de commerce (ESC) à Alger, donne l'impression de marcher sur des oeufs. Dans le train qui le transporte chez lui, à Bordj Menaïel, «le futur ingénieur d'Etat» change à maintes reprises de place. «Ce n'est pas une manie», dit-il timide. La raison est tout autre. Il n'a pas de quoi payer le «fameux ticket» de 50 dinars. Tête baissée comme s'il avait commis un acte honteux, voire l'irréparable, il ne veut pas être repéré par les agents de sécurité qui vérifient si tous les voyageurs ont payé leur place ou disposent d'une carte d'abonnement. Comme plusieurs centaines d'étudiants, qui peinent à rejoindre leur domicile dans l'après-midi, Walid n'arrive pas à se situer entre ces deux catégories. Ses tentatives de disposer de cette carte qui lui permet le transport gratuit, n'ont pas abouti devant le niet catégorique des responsables de la Sntf. «Je n'achète le ticket que rarement, cependant, en cas de vérification je paie cher», souligne-t-il. Plus explicite, il dira: «Le ticket de 50DA vaut plus que le double dans ce cas: 140 DA.» D'où viendra l'argent pour payer une éventuelle amende? De son boulot accompli une fois les cours terminés? «Je vends des cigarettes,...et de l'alcool jusqu'à une heure tardive de la nuit, pour pouvoir payer mes frais quotidiens et suivre mes études.» Un calvaire vécu au quotidien, en cette période de froid glacial comme en période estivale quand le soleil se fait de plomb. Tels des maquisards, dès l'aube, des milliers d'étudiants envahissent les quais des gares pour prendre le train et rejoindre ensuite les stations de transport universitaire qui les conduit à leurs campus respectifs. «On dort avec le souci de rater des conférences et des TD (travaux dirigés), le lendemain matin», enchaîne Walid. Toutefois, certains qui n'ont pas réussi leur transfert vers une autre faculté plus proche de leur domicile, boudent, puis sèchent leurs cours jusqu'à ne plus remettre les pieds à l'université. Arrivé à la gare de l'Agha d'Alger, Walid a trouvé un subterfuge. Il accompagne une splendide jeune fille pour échapper au contrôle. Il réussit souvent cet exercice mais...toute tactique a ses défaillances...Il se fait attraper par un agent, il paie, il recommence et la vie...d'étudiant continue. Le défi est de ne pas rater les cours. Et si ces étudiants réussissent le matin à arriver à l'heure, le soir ils éprouvent toutes les difficultés pour rentrer chez eux. «On rentre tard avec le risque d'être agressés par des malfaiteurs qui nous ont déjà dépossédés même de nos cartables. Ils prennent tout...», souligne Bilal, 19 ans. Bavard et truculent, il avoue n'avoir «jamais» payé le ticket de train depuis qu'il fréquente l'université. Habitant à Boumerdès, ce cadet d'une famille nombreuse, prépare son ingéniorat à l'Institut national de planification et statistiques (Inps), de Ben Aknoun. «Je prends toujours un bouquin, une revue ou un journal pour ne pas attirer l'attention des agents», poursuit notre interlocuteur rencontré au sein même de l'institut. Le trajet quotidien l'exténue et son visage reflète cet épuisement. Souffrant le martyre comme l'ensemble de ses camarades, Lounis tente, tant bien que mal, de ne prendre le train que le matin. «Je me rends chez un ami à la cité universitaire Taleb-Abderrahmane, à Ben Aknoun quand j'ai des TD dans l'après-midi», explique ce natif de Kabylie. Bravant tous les dangers, ces étudiants voient leur parcours universitaire se transformer en véritable challenge. Que d'obstacles pour obtenir ce diplôme qui ouvrira les portes...du chômage!