Le conflit entre l'Ukraine et la Russie, que Moscou présente volontiers comme un différend purement commercial, est en fait clairement un bras de fer politique. «On a réveillé l'ours blanc qui dormait paisiblement et le voilà qui saccage la forêt». La dispute gazière entre Moscou et Kiev s'est encore envenimée hier avec une paralysie totale du réseau de gazoducs approvisionnant l'Europe via l'Ukraine. L'Union européenne grelotte sous l'étreinte du général Hiver. Il y a de l'eau dans le gaz. Le géant russe Gazprom vient de suspendre ses approvisionnements européens en gaz transitant par l'Ukraine. Mais Gazprom, propriété de l'Etat russe, peut-il suivre une ligne dure sans l'aval de Vladimir Poutine? Que nenni! Le Premier ministre russe, Vladimir Poutine, a même ordonné hier au géant gazier Gazprom de cesser toutes les livraisons de gaz naturel transitant par l'Ukraine en réponse au patron de Gazprom, Alexeï Miller. Ainsi, le conflit gazier, opposant Moscou à Kiev a donné un regain d'actualité au problème du recours aux ressources énergétiques comme instrument d'influence sur la géopolitique. En effet, la crise est purement politique. Aujourd'hui encore, le grave contentieux politique entre la Russie et l'Ukraine au sujet de la position pro-géorgienne de Kiev dans la guerre en Géorgie, pose de nouveau des problèmes sérieux à l'Europe. Si la crise était purement commerciale et se limitait à des questions de prix et des capacités d'approvisionnement, elle serait déjà réglée depuis longtemps. Cependant, en dépit des affirmations de Moscou, c'est avant tout une crise politique. En fermant les vannes à l'Europe, la Russie se donne un moyen d'afficher son emprise sur une Ukraine qui lui échappe depuis la Révolution orange. En effet, depuis la «Révolution orange» de l'hiver 2004-2005 et l'accession au pouvoir à Kiev des partisans de l'ouverture à l'Ouest conduits par le président Viktor Iouchtchenko, Moscou n'a jamais accepté les velléités ukrainiennes de rejoindre l'UE et encore moins d'adhérer à l'Otan. M.Poutine a récemment jugé que ce pays, qu'il juge fait de bric (Europe centrale) et de broc (territoires concédés par la Russie), «n'est même pas un Etat»! Pour les spécialistes, la crise géorgienne d'août 2008 a renforcé les craintes des Européens et des Américains pour leur sécurité énergétique. En fermant les vannes, Moscou veut rappeler à l'Europe et aux Américains tout son poids énergétique et...politique. La Russie veut, selon les observateurs, rappeler aux Européens qu'elle doit être considérée comme un partenaire à ne pas négliger et qu'il vaut mieux ne pas froisser. C'est pour la deuxième fois que la Russie plonge l'Europe dans une situation dramatique en réduisant les fournitures pour certains pays et en les arrêtant complètement pour d'autres pays. Il y a trois ans, la société d'Etat «Gazprom» révélait la force de ce carburant dans la politique. Moscou justifie toujours son comportement par des raisons économiques. En procédant de la sorte, Moscou veut faire pression sur les politiques ukrainiens pro-occidentaux. La Russie a beaucoup d'intérêts dans ce pays et elle tient à ce que l'Ukraine reste loin de la sphère occidentale d'influence, notamment américaine. Et la visite du vice-président américain, Dick Cheney, en août 2008 en tournée dans trois pays servant de «corridor énergétique»: l'Ukraine, la Géorgie et l'Azerbaïdjan, n'est toujours pas digéré par Moscou. Une autre preuve que la crise est politique car la Georgie et l'Azerbaïdjan demeurent des points névralgiques pour l'écoulement des hydrocarbures d'Asie centrale vers les marchés européen et américain.