Entre le patrimoine historique et le sordide bidonville, l'antique cité n'en finit pas de s'effondrer. «Ça a fait boum, boum, boum...!». Dans un geste frénétique, presque hystérique, tapant du poing sur la table, ponctuant les boums, une petite fille, d'à peine quatre ans, s'essouffle et essaye de nous faire revivre la chute de la maison de ses voisins. Le 1er juin à 10h45, une femme meurt dans l'effondrement partiel d'une douira à la Casbah. L'incident n'est pas le premier du genre, ni le dernier. Une semaine plus tôt, un père de famille, sa femme et leur enfant périssent dans les mêmes circonstances. Deux jours plus tard, c'est une autre bâtisse qui s'effondre, à la rue Réda-Messabih, sans causer de victimes cette fois. La rue des Abderrame est obstruée par un imposant monticule de gravats qu'aucune autorité ne pense à dégager. D'importants pans de murs restent suspendus dans le vide à des hauteurs vertigineuses. Quelques vêtements demeurent accrochés aux fenêtres, personne n'ose aller les récupérer. «On leur a dit d'attendre la fin des élections pour être relogé», témoigne, excédé, un garçon du quartier. «Les services de la Protection civile sont intervenus deux jours avant la chute puis sont repartis. Maintenant que quelqu'un est mort, les rescapés sont recasés.» La douira de notre témoin fait face à la bâtisse qui s'est effondrée emportant avec elle la pauvre femme prise de court. Sa chambre, au premier étage, surplombe la ruelle et ses gravats. «C'est là que je couche. J'ai pas fermé l'oeil depuis deux jours» nous raconte-t-il avant de nous inviter à monter sur une chaise pour mieux apprécier le spectacle. La chute de la maison a sévèrement secoué les bâtisses du voisinage. «La nuit, on entend des craquements», dit cet homme qui nous a suivis. En faisant le tour du propriétaire nous découvrons un état des lieux fait de fissures, craquelures, affaissements, chutes de plafonds, colmatages et exiguïté, que se partage une dizaine de familles. On nous montre tout, y compris les toilettes communes. Les magasins au rez-de-chaussée sont défoncés. «Je ne peux plus me rendre à ma boulangerie. La Protection civile n'a fait que dégager la pauvre femme», nous apprend le vieil homme en nous accompagnant à la sortie. «Là où on est, c'est mieux comparé à d'autres endroits», lance presque satisfait notre guide. Il nous promet un spectacle que nous n'oublierons pas de si tôt, la maison d'un ami d'enfance. En enjambant une palissade, la rue de la Grenade nous accueille avec ses relents fétides d'eaux usées en stagnation. Deux bâtisses se font face, se maintiennent réciproquement, grâce aux poutres que les services de l'APC de la Casbah ont placées. Mais la pression est trop forte, les murs ont fini par craquer, à trois mètres de hauteur. «Même un chien ne devrait pas se retrouver ici», commente-t-il avant de consulter l'ami. Aziz acquiesce et nous voilà empêtrés au 1, impasse Mohamed-Chaouchi. Cette fois, il faut faire attention ne pas se prendre les pieds dans le trou du palier ou dans celui des escaliers. Depuis la terrasse qu'il faut négocier avec précaution, au risque de se retrouver deux étages plus bas, la Casbah est plus sinistrée que jamais. Evacuation, relogement, indus occupants, trafics de documents, les nouveaux débarqués, les tours de force avec les autorités, les magouilles du wali et du P-APC, Aziz, volubile, ne s'arrêtera pas. Au troisième étage de l'APC de la Basse Casbah, ce sont les bureaux de l'urbanisme, sans doute le service le plus «éprouvé». Trois attendent dans le couloir que quelqu'un les reçoive, les écoute et leur dise: «Oui, j'ai la solution.» Elles finissent par perdre patience et se dirigent vers la sortie. «Nous sommes venues demander une autorisation pour squatter une maison inhabitée. Nous ne pouvons plus rester dans la maison où nous sommes, c'est trop dangereux», insiste la plus âgée d'entre elles. Elles disparaissent déterminées à défoncer la porte sans autorisation. «S'ils ne trouvent pas une solution dans quelques jours, ça va barder.» La menace est articulée sans trop de conviction par un autre cas social. Lui, ça fait deux semaines qu'il traîne sa femme chez sa belle-famille et projette d'aller camper chez le président d'APC si celui-ci ne l'aide pas. «Il y a plein de maisons fermées et inhabitées, mais ils préfèrent prolonger notre calvaire», appuie-t-il. De l'autre côté des portes de service, les personnages providentiels sont insaisissables, fuyants et boudeurs. Les sollicitations sont nombreuses et les déceptions difficilement contenues. Pour Yacine, vice-président à l'APC, la moitié de la Casbah menace ruine, selon les rapports établis par les services de l'urbanisme. L'assemblée, aux yeux de Yacine, fait correctement et pleinement son travail dans la mesure où ses prérogatives s'arrêtent à l'étude technique et aux interventions pour le renforcement des bâtisses. Pour ce qui est du relogement des personnes menacées par l'effondrement de leurs maisons, c'est le wali délégué qui a lui-même pris en charge le dossier. L'APC n'est là que pour lui fournir le bilan constat qui justifie le relogement. Il concède toutefois que ce dernier point connaît quelques irrégularités: «A chaque fois qu'une maison est évacuée, on devrait procéder à sa destruction pour éviter qu'elle ne soit réinvestie par d'autres occupants. Ce qui ne peut se faire parce que la Casbah est classée patrimoine universel. Les nouveaux occupants sont, en vertu des rapports que nous avons nous-mêmes établis, menacés et seront donc relogés avant les autres, ceux qui attendent depuis plus de 30 ans.» L'exode qu'a connu Alger a sérieusement envenimé la situation dans cette cité. 30.000 personnes seraient, selon le vice-président de l'APC, encore dans l'attente d'un recasement. Les effondrements se multiplient, les campagnes de relogement sont inconstantes et connaissent parfois des retards. Tous les ingrédients pour une explosion. La tension est à son comble. Il suffirait d'une étincelle...