«Sans l'indépendance de l'avocat et du barreau et, a fortiori, du parquet, l'Etat de droit et l'indépendance de la justice ne seront que virtuels», selon le vice-président de la Laddh, L'Expression: Depuis plus d'une semaine, le bâtonnat d'Alger n'a ni bâtonnier, ni Conseil de l'ordre. Quel constat faites-vous? Me Noureddine Benissad: Les élections pour le renouvellement des membres du Conseil de l'ordre des avocats de la région d'Alger, qui ont eu lieu en janvier 2008, viennent d'être annulées par le Conseil d'Etat. Cela a eu lieu après des recours introduits par un certain nombre de candidats devant le Conseil d'Etat. Il ne m'appartient pas de commenter une décision de justice d'autant plus que je n'ai pas encore pris connaissance de la teneur de l'arrêt du Conseil d'Etat. Ceci étant, il y a un principe cardinal qu'est celui de la continuité du service public. A ce titre, le Conseil de l'ordre reste en place jusqu'à l'élection du nouveau Conseil de l'ordre, notamment pour expédier les affaires courantes. Un mécontentement d'une part, un satisfecit de l'autre. Est-ce les avocats qui exigent un projet de loi «sans faille» ou c'est la tutelle qui navigue à vue? Ce n'est pas une loi «sans faille» qui est exigée par les avocats. Mais ces derniers sont plus soucieux, des droits de la défense des justiciables. Il est tout à fait naturel qu'en représentant au quotidien des droits des justiciables, ils s'inquiètent à juste titre du renforcement de ces droits qui sont d'ailleurs consacrés dans la Constitution et à travers les conventions internationales sur les droits de l'homme, ratifiées par l'Algérie ainsi que les différentes déclarations onusiennes sur les droits de la défense. Donc, il ne s'agit pas de revendications de type corporatiste. Dans ce projet, les robes noires rejettent, notamment l'article 24... Pourquoi cette insistance sur cet article en particulier? L'article 24 et d'autres articles d'ailleurs, remettent en cause sérieusement l'indépendance des avocats. Ce sont également des articles qui constituent une atteinte aux droits de la défense dès lors que l'avocat ne peut plus plaider et exercer sa mission en toute indépendance. C'est une partie au procès, en l'occurrence le parquet, qui peut apprécier si l'avocat a outrepassé ses obligations et peut, par la suite, saisir le bâtonnier pour des poursuites disciplinaires à l'encontre de l'avocat. Aucun des textes précédents: ni l'ordonnance de 1975 ni la loi de 1991 relatives à la profession d'avocat n'ont adopté une telle démarche. Qu'en est-il de la concertation des avocats avec les pouvoirs publics? On ne peut que regretter le manque de concertation sur des questions aussi sensibles. Car les droits de la défense sont au coeur de la réforme judiciaire et de l'Etat de droit. Vous savez, toute personne est potentiellement justiciable. Il est donc dans l'intérêt de tous et de toutes de veiller au renforcement des droits de la défense et à l'indépendance du barreau. Le parquet général peut s'autosaisir pour enclencher des poursuites judiciaires contre les avocats si ces derniers sont au centre d'un incident intervenant lors d'une audience...Avez-vous des explications à donner, maître? Le parquet est une partie au procès et s'il est le «protecteur» de la société, l'avocat est le défenseur des libertés au quotidien. Cette défense ne peut pas être une «conscience en location», une présence alibi, une défense au «rabais», elle a la charge de faire respecter les droits de la défense, les règles du procès équitable, les principes de la présomption d'innocence, de la liberté et d'être la voix de ceux qui n'ont pas de voix et le porte-voix de ceux qui ne peuvent exprimer leur-voix. Et à ce titre, sans l'indépendance de l'avocat et du barreau et, a fortiori, du parquet, l'Etat de droit et l'indépendance de la justice ne seront que virtuels. L'entrée en vigueur au mois d'avril prochain de la loi 08-09 du 25 février 2008 portant Code de procédure civile et administrative risque de compromettre le cours normal de milliers d'affaires en suspens. S'agit-il d'une aberration? A mon sens, tout le monde aurait gagné si on avait mis à profit la période passée entre la promulgation de la loi 08-09 et son entrée en vigueur pour organiser des séminaires et des rencontres entre avocats et magistrats pour nous initier aux nouveaux mécanismes. Je ne comprends pas par exemple, que la traduction en langue arabe de tous les documents écrits en langue française soit à la charge du justiciable alors même que ces documents sont délivrés par des administrations algériennes. Aussi, un pouvoir judiciaire indépendant et un barreau indépendant constituent les deux piliers de l'Etat de droit. Si ces deux piliers perdent leur indépendance, l'Etat de droit devient chimérique. Et là où il n'y a pas d'Etat de droit, il n'y a pas de droits de l'Homme. Un homme dépouillé de ses droits est un homme dépouillé de sa qualité d'homme. La civilisation ne se mesure pas à la fortune ou aux biens matériels dont jouissent les gens, mais, comme disait Felix Frankfurt, «c'est la manière dont la justice est rendue, la manière dont les hommes réagissent à l'injustice et cherchent à la réparer».