Il n'est finalement ni islamiste, ni nationaliste, ni démocrate. Il est par contre tout à la fois. Ce qui est politiquement faux. Lui, c'est Djahid Younsi, secrétaire général du parti El Islah et candidat à l'élection présidentielle du 9 avril. Rencontré au siège de son parti à Alger, M.Younsi a voulu répondre sans complaisance à nos questions. L'Expression: M.Djahid Younsi, vous êtes parmi les candidats qui parlent souvent de l'ouverture du champ médiatique. Justement, quelle est votre conception de la liberté de la presse? Djahid Younsi: Allah Akbar! Premièrement, pour nous, l'ouverture du champ médiatique va avec l'ouverture du champ politique, car il ne pourrait y avoir d'ouverture politique proprement dite sans ouverture médiatique. Le tout rentre dans le projet des libertés démocratiques. Et dans mon programme politique, il y a tout un chapitre qui est consacré à l'ouverture et à l'élargissement de ces libertés. Actuellement, pour avoir accès, par exemple, à la pratique politique, il faut demander un agrément des autorités. Nous, nous proposons autre chose. Nous disons que la pratique de la politique est un droit absolu et spontané puisqu'elle est garantie par la Constitution et reconnue par la loi. De ce fait, nous estimons qu'il suffit de se structurer et d'informer les autorités par simple avis et non par une demande d'agrément, car en demandant un agrément, c'est comme s'il y avait un tuteur. Nous voulons lever ce tutorat et ouvrir le champ politique tout autant pour les syndicats. Il y a aussi le côté médiatique qui ne doit pas être monopolisé. On veut que chaque Algérien et chaque Algérienne exprime ses pensées, ses idées et ses visions sans pour autant avoir de tuteur. C'est pour aller de la démocratie fictive à la démocratie réelle. Laissez-moi donc jouir de cette liberté et je vous en assure la réciprocité. Au moment où l'opinion s'attend à la représentation du courant islamiste par «un ancien de la mouvance», ou carrément à l'absence de ce courant lors du prochain scrutin, c'est Djahid Younsi qui surgit. D'où venez-vous? Tout d'abord, mon parcours n'a pas commencé aujourd'hui ou hier. Mon parcours politique et celui de militant date de la fin des années 1970. Je suis le membre fondateur de plusieurs organisations politiques, y compris mon parti El Islah. Ma présence aujourd'hui est, de ce point de vue, un couronnement de mon parcours militant. Je veux donner un autre visage et une autre image du courant islamiste et des potentialités qui existent peut-être dans cette mouvance. Et ces potentialités ne se sont pas fermées sur elles-mêmes mais elles sont des potentialités qui convergent vers les autres, qu'elles soient dans le courant nationaliste ou celui démocratique. Je veux construire avec ce que je porte comme idées et ce que je propose comme projet, un courant où chacun se retrouve. C'est cela mon objectif. Mon projet, c'est la synthèse de la lecture de cette réalité et de l'analyse de ce que veulent les Algériens avec toutes leurs tendances politiques et intellectuelles. Je ne suis pas venu pour leur imposer une vision «prêt-à-porter» mais je veux leur présenter le résultat d'une expérience que je veux conjuguer avec les aspirations des citoyens. J'ai voulu présenter un projet qui réponde à toutes ces aspirations. Mais M. Younsi, des observateurs vous collent ainsi qu'aux autres candidats, le qualificatif de lièvre, d'autres disent que vous êtes un comité de soutien pour le président sortant. Qu'en pensez-vous? Mon avis est que ces gens-là sont les vrais éléments qui constituent le comité de soutien à ce candidat. Ils veulent faire fuir les Algériens de l'acte de vote. Ils veulent décourager les Algériens dans leur aspiration pour le changement. Le résultat de ce qu'ils veulent, c'est le statu quo. Ces gens là ne respectent pas la volonté du peuple. Alors que c'est la volonté du peuple qui doit primer. Pour moi, la volonté de chaque Algérien doit être respectée et estimée. D'une manière directe, ils ne font que fixer davantage ce statu quo. Donc, personnellement, je suis une force et un espoir de changement. Justement votre slogan de campagne est: «C'est votre chance pour le changement». Pourquoi ce slogan? Parce que les Algériens ont beaucoup enduré. Ils ont fait l'expérience sous plusieurs gouvernements et gouvernants. Ils ont fait la mauvaise expérience avec beaucoup de politiques. Toutes ces politiques ont échoué au moment où ceux qui les ont portées avaient tous les moyens qui permettent de donner un prestige à ce peuple. Pour nous, le confort des Algériens est l'objectif de toutes les politiques économiques, sociales et autres. Ils ont failli malgré tous les moyens dont ils disposaient. Donc nous nous sommes présentés et proposés comme une alternative à ces politiques de défaillances. On veut dire que ce slogan «Votre chance pour le changement» signifie que cette chance ne revient pas toujours. La chance doit être saisie. Il ne faut pas la rater. On se propose donc en tant que projet pour réaliser ce changement qui n'est pas imaginaire mais possible et il faut qu'il devienne réalité mais à condition que chaque Algérien y croit et croit que c'est lui qui le fait. Je ne suis rien sans le soutien populaire et je suis tout avec ce soutien. C'est pourquoi je suis confiant pour ce que je porte comme projet et je suis certain que je peux réaliser ce que beaucoup de gens n'attendent pas, si nos efforts se conjuguent avec ceux du peuple. Vous avez rencontré récemment le colonel de l'ALN et président de la fondation de la Wilaya IV historique, Youssef Khatib. Peut-on connaître sur quoi a porté votre discussion? On a discuté ensemble sur les aspirations du peuple algérien et on a convergé sur le fait que celui qui veut servir le peuple ne doit pas dévier de son parcours historique, celui qui ne dévie pas de la ligne novembriste et du message que les martyrs ont transcrit dans la proclamation du 1er Novembre 1954. On s'est mis d'accord également sur le fait que les droits du peuple ne se recouvrent pas une seule fois mais ils le seront à coups de lutte, de persévérance et de détermination. Et c'est ce qu'a apprécié le colonel Si Hassan qui nous a encouragés à continuer sur cette voie. Ce qu'il nous a aussi affirmé, c'est que cette chance est notre chance ainsi que celle des jeunes pour le changement. On a abordé également plusieurs points concernant nos visions sur l'Algérie de demain. Et je me réjouis de ce que j'ai entendu de Si Hassan car ce sont nos pères qui ont dessiné le sort de l'Algérie avec leur sang et leurs sacrifices. Comme les autres candidats, vous avez entamé jeudi votre campagne électorale. En dehors des subventions de l'Etat, avez-vous les moyens tant financiers qu'humains pour aller jusqu'au bout et réussir votre campagne? Nos moyens sont faibles notamment du côté financier. Mais on a la force de l'engagement et la détermination ainsi que la confiance en ce que nous portons comme projet. Nous faisons tout pour compenser ce manque de moyens avec plus d'efforts. Notre but étant de faire entendre notre voix et transmettre notre message et nos idées à toutes les Algériennes et à tous les Algériens. Je pense que cette élection est la grande occasion pour le faire. Ces derniers jours, des échauffourées ont éclaté entre des islamistes et leurs camarades au centre universitaire de Bouira pour une histoire de mixité. Est-ce l'islamisme que vous prônez? Moi, je préfère régler les problèmes entre les différents courants de la société par le dialogue. La violence n'est pas une option et ce n'est pas ma conception des choses. M. Younsi, êtes-vous pour ou contre l'abrogation du Code de la famille? Je ne suis pas contre son abrogation mais je suis pour l'introduction de quelques amendements de sorte que les aspects qui nécessitent une promotion soient revus. Je suis ouvert, notamment en ce qui concerne la femme car derrière elle, il y a la cellule familiale. On veut lui donner sa place naturelle dans la société. En deux mots, acceptez-vous d'être présidé par une femme? Si les Algériens la choisissent, pourquoi pas? Et pour l'abolition de la peine de mort? Sur le principe, on ne peut pas être pour l'abolition de la peine de mort. Mais sur le plan pratique, cette peine ne doit pas être pratiquée dans des conditions non démocratiques car, comme vous le savez, dans de telles conditions, ça devient une affaire de règlement de comptes. Donc, on est pour la préservation du principe mais en matière de pratique, les conditions actuelles de l'Algérie en matière de libertés ne lui assurent pas une pratique démocratique. Il semble finalement que vous n'êtes pas cet islamiste aguerri, et que l'instauration d'un Etat islamique, politiquement parlant, n'est pas votre objectif... L'Etat dont je rêve c'est l'Etat dont ont rêvé les martyrs et porté par la proclamation du 1er Novembre. Ces martyrs ont dit: «Nous voulons construire un Etat algérien démocratique, social et souverain dans le cadre des principes de l'Islam». Ni plus ni moins. Si vous voulez appeler ça un Etat islamique, vous pouvez l'appeler ainsi, si vous voulez l'appeler Etat civil, République, vous êtes libre de le faire. M. Younsi, qui a écrit le roman Le fils du pauvre? Je ne sais pas car je n'ai pas lu ce roman. Et pour conclure... Je souhaite que la prochaine élection présidentielle soit une chance pour les Algériens pour le changement et j'espère qu'ils ne rateront pas cette occasion. J'espère aussi qu'ils ne répondront pas aux partisans du désespoir. N. B.: Mouloud Feraoun est l'auteur du roman Le fils du pauvre. Le monde littéraire vient, le 15 mars dernier, de célébrer le 47e anniversaire de sa tragique disparition.