Dans cet entretien accordé à L'Expression, le président de la Commission nationale politique de surveillance de l'élection présidentielle, M.Mohamed Teguia, révèle que des partis ont vendu à 42 millions de centimes les procurations pour faire partie des commissions communales ou de wilaya. Il estime que le candidat Abdelaziz Bouteflika a le droit de recourir aux moyens logistiques de l'Etat, (avion et garde rapprochée) dans sa campagne vu son statut de Président. Le coordinateur national qualifie de malhonnêtes les accusations de certains candidats, et assure de la partialité de l'administration. L'Expression: M.Mohamed Teguia, est-il normal d'ester en justice un journaliste qui qualifie «de lièvres» les adversaires du président-candidat M.Abdelaziz Bouteflika? Etes-vous habilité à le faire? N'est-ce pas là une ingérence dans le travail de la corporation et une menace pour la liberté d'expression? Mohamed Teguia: Vous faites ici certainement allusion aux déclarations qui m'ont été attribuées par la presse nationale. Je défie les journalistes de les prouver. Non, je n'ai jamais menacé la presse de recourir à la justice. Ces accusations graves sont le résultat d'une mauvaise interprétation de mes propos. Je suis étonné de constater que certains journalistes, et pas tous heureusement, aient mal saisi mes déclarations. Je tiens à préciser, à travers votre organe, que M.Teguia a bien au contraire agi dans l'intérêt des journalistes en les mettant en garde contre les réactions des cinq candidats si l'on continue à les traiter de lièvres. Je ne pensait pas que le journaliste était capable de diffamer mes propos et de les interpréter à sa manière. Qu'avez-vous déclaré exactement? J'ai dit textuellement que les candidats en question pourraient vous accuser (la presse) et aller loin dans leurs démarches. Ils l'étaient peut-être avant mais ils ne sont plus lièvres à partir du jour où le Conseil constitutionnel a validé leurs dossiers de candidature et les a élevés au rang des présidentiables. Les journalistes doivent prendre en considération cet aspect, à mon avis. Les cinq candidats dénoncent la disparité qui caractérise la compétition électorale. La campagne, disent-ils, n'est pas facile pour les candidats notamment du point de vue financier alors que tous les moyens de l'Etat sont mis au service du candidat Bouteflika, notamment l'avion présidentiel. Quelle est l'appréciation de la Cnpsep. Il ne faut pas oublier que M.Abdelaziz Bouteflika est président. Il exerce pleinement ses pouvoirs selon la Constitution. Il continue à gérer les affaires de l'Etat. Son temps est précieux il ne peut pas le perdre dans le bus ou en voyageant par route. Dans ce contexte, il est normal qu'il ait recours aux moyens logistiques de l'Etat. Je ne peux pas lui interdire de prendre l'avion présidentiel dans sa campagne. Les candidats doivent faire la distinction et comprendre qu'il restera le garant des intérêts nationaux jusqu'au 10 avril, jour de l'annonce des résultats de l' élection présidentielle. Il a des obligations en relation avec son statut qu'il faut prendre en considération. Maintenant, j'aurais compris ces agitations si Bouteflika continuait de recourir aux moyens de l'Etat après le 9 avril. Par ailleurs, je défie quiconque de me ramener la preuve que M.Bouteflika finance sa campagne par le biais du Trésor public comme certains candidats le laissent entendre. Aussi nous avons remarqué quelques réactions individuelles de la part de certains agents administratifs qui, de par leur démarche, nuisent au président Bouteflika. Concernant les autres aspects financiers, notamment en rapport avec la subvention de l'Etat, plafonné à 1,5 milliard de centimes, nous avons posé le problème au président de la Commission de préparation des élections, M.Ahmed Ouyahia. Il a jugé, en concertation avec ses collaborateurs, que cette somme couvre les frais de la campagne. Maintenant les candidats peuvent agir après les élections en demandant d'être remboursés mais ils n'ont pas le droit d'utiliser ce point comme matière de propagande durant la campagne. Concernant l'affichage anarchique, si les cinq candidats s'estiment lésés, ils n'ont qu' à agir en incitant les militants et les sympathisants à déchirer les portraits «incriminés» et à coller les leurs. C'est de bonne guerre. Nous avons constaté qu'il n'y a pas de réactions positives de la part des candidats. Tout le monde est suspendu aux décisions de la commission ou encore à celles du Premier ministre. Les candidats s'entêtent à focaliser sur l'aspect financier et les subventions de l'Etat. La campagne pour la présidentielle ne doit pas se limiter à ce stade. Trois candidats à la présidentielle menacent de claquer la porte. Leurs représentants ont développé plusieurs arguments dans une conférence de presse, tenue lundi. Ils évoquent principalement des blocages au niveau de votre commission. D'abord je dois préciser une chose. Ces militants ont parlé de 30 recours déposés au niveau de la Cnpsep, alors qu'officiellement je n'ai reçu que quatre (Teguia nous exhibe le dossier). Je peux vous les citer: le premier, déposé le 20/03/2009 par le candidat indépendant M.Mohamed Oussaïd Belaïd, protestant contre l'absence de mesures de sécurité autour de la salle Atlas à Alger qui a accueilli son premier meeting. Le deuxième remis le 25/03/09 par M.Seddiki Mohamed, représentant de M.Ali Fawzi Rebaïne qui s'est élevé contre les travaux qui gênaient l'accès à la salle de conférences où comptait tenir le candidat de AHD 54 sa conférence. M.Ramdane Taâzibt nous a transmis le même jour un recours faisant part de l'interdiction faite à des sympathisants du PT de rejoindre la cité El Hamri à Oran pour assister au meeting de Mme Louisa Hanoune. Enfin M.Mohamed Oussaïd, a protesté le 27/03/09 contre la non-diffusion à la Télévision nationale de son meeting tenue à Djelfa. Les doléances des candidats ont été rapidement prises en charge. Ce sont les mêmes depuis le début de la campagne. Honnêtement, est-il sérieux de protester contre l'absence d'un haut parleur dans une salle? Un futur président doit avoir un comportement tout à fait différent. Les candidats doivent se prendre en charge, parce qu'ils sont appelés à gérer les affaires du pays. Aussi ont-ils une part de responsabilité dans ces problèmes. C'est à eux de contacter les services au niveau des administrations concernées pour organiser leurs sorties. Pourquoi attendre tout des autorités publiques? Moi je pense sincèrement que ces candidats font dans l'agitation pour se frayer un chemin vers la sortie, conscients de leur manque d'influence sur les électeurs. Comment expliquer dans ce cas que seuls 3 sur les 25 membres de la commission haussent subitement le ton à quelques jours des élections? Maintenant, les représentants des trois candidats concernés menacent de saisir le Président prétextant que le Premier ministre néglige leurs correspondances. J'aimerais là aussi préciser une chose, le Premier ministre a répondu par le biais de la Commission mixte de surveillance des élections qui compte trois membres du gouvernement et trois membres de notre commission. Rien ne l'oblige à répondre personnellement aux recours. C'est un homme d'Etat qui a ses priorités, nonobstant qu'il fait une campagne en faveur du candidat Bouteflika. Ces candidats veulent nous dicter notre façon de travailler. Ils espèrent nous pousser à agir en dehors des textes de loi. M.Djahid Younsi, candidat d'El Islah, se prend déjà pour un président de la République et accuse ma commission à tort de dépassements. J'estime que cela est malhonnête de sa part. Ni lui ni les autres candidats n'ont le droit de s'immiscer dans notre travail. J'estime que la commission et le coordinateur national effectuent correctement leur travail. Je n'ai aucun remords. Teguia ne veut pas recourir à la solution extrême, qui est la justice, pour freiner ces accusations. Le coordinateur national est actuellement très tolérant avec les candidats, j'espère que chacun saura mesurer ses réactions. L'adhésion aux commissions communales ou de wilaya de surveillance de l'élection présidentielle fait l'objet de marchandage. Les procurations sont, selon certains témoignages, vendues à des prix exorbitants. Confirmez-vous cela? Effectivement, ce dossier nous pose un sérieux problème. Nous sommes justement en train de mener une enquête pour élucider ce dossier. Les premiers résultats font ressortir que des partis ont vendu les procurations à 42 millions de centimes. Plus grave encore, la commission a reçu plus d'une «procuration» pour un seul siège. C'est carrément de la «fraude». Nous avons renvoyé trois coordinateurs. La procuration doit émaner exclusivement du premier responsable du parti, en l'occurrence le président du parti ou le secrétaire général. L'enquête poursuit son cours et les contrevenants seront poursuivis en justice. Malheureusement, nous sommes surpris que ces agissements surviennent de partis que l'on croyait jusqu'ici «politiquement corrects.» La commission est-elle habilitée à s'autosaisir? Oui, nous sommes en train de rassembler les preuves pour transférer le dossier à la justice. Une dernière question: comment qualifiez-vous le climat de la campagne? La campagne se déroule dans de très bonnes conditions. C'est une très grande avancée pour la démocratie. Je suis confiant que les élections seront transparentes. Le climat politique le permet et l'arsenal juridique mis en oeuvre avant ces élections le garantit.