Agressions, bagarres, propos obscènes, vols, déchets et ordures partout, cris et bruits assourdissants, stress, malaises et maladies nerveuses...et la liste reste ouverte. Le mal-être est grand et visible. Au quotidien et dans toutes les circonstances de la vie, le mal est partout. Dans les cafés, les jardins publics, dans les administrations, sur les routes, sur les trottoirs, l'incivisme rend la vie quotidienne insupportable. Pour voir de plus près et percer le secret de ce mal-être, nous nous sommes rendus dans ces lieux de vie commune. Nous avons interrogé et discuté avec des gens d'âges différents et de catégories diverses. Tout le monde veut éviter de voir fuir tout le monde. Tout le monde se dit non responsable de ces comportements qui, tous réunis, rendent le quotidien non seulement stressant mais insupportable. Mais, tout le monde est contraint de côtoyer tout le monde et c'est là tout le drame. Pis encore, aujourd'hui, il n'est plus facile de distinguer qui est victime et qui est responsable. Un moment de plaisir à la table d'un café? Discuter d'un sujet en sirotant un café noir à la table d'un café maure n'est pas toujours chose permise. Un tour dans les cafés de la ville et dans certains villages renseigne sur la difficulté. Tout d'abord, le manque d'hygiène criant ainsi que l'absence de courtoisie vous agressent. «La plupart de ceux qui viennent ne laissent rien propre en repartant», nous disait un garçon de café, lui aussi, mal rasé et mal habillé. Les cendriers débordent de mégots et de boules de chique jaunâtres. «Vous avez déjà vu des gens essuyer leur tabac à chiquer sur les tables?», lance le serveur en montrant du doigt ces résidus infects accrochés au-dessous des tables comme des mollusques. Le bruit ne permettait aucune discussion sereine. «En cinq années au Québec, je n'ai pas entendu autant de bruit que durant la demi-heure que nous avons passée dans ce café», remarque Arezki, qui revient du Canada pour des vacances. Dans un autre café à la périphérie de la ville, on constate une certaine propreté. Nous appelons le garçon il nous montre du doigt, sans nous regarder, le comptoir. «Payez et prenez votre jeton là-bas!», nous lance-t-il dédaigneusement. Au service, il retrouve un semblant de gentillesse. «Il y a beaucoup de gens qui partent sans payer», dira-t-il comme pour s'expliquer. Cela nous sera confirmé par le patron lui même, dans un autre café assis derrière la caisse, près de la porte. «Ils ne rougissent même pas quand ils sont interpellés dans la rue afin qu'ils s'acquittent de leur note. Ne les croyez pas quand ils demandent pardon et quand ils simulent l'oubli, ce n'est plus comme avant, l'honnêteté d'antan a disparu», ajoutera-t-il, avec résignation. Le même interlocuteur essayera d'expliquer le comportement des garçons. «Il y a des gens honnêtes qui viennent mais, vous savez, quand un jeune comme ça se fait avoir plusieurs fois, il finit par voir des voleurs partout.» Cela explique donc la méfiance qui règne au quotidien. Dans les cafés et dans de nombreuses circonstances de la vie, les gens vivent avec méfiance et suspicion. La multiplication des comportements négatifs engendre des situations où les bons paient pour les mauvais. Quelques instants de détente dans un jardin public, s'il vous plaît! Déjà sur le trottoir, en allant au jardin, il est difficile de circuler. Dans toutes les rues, les déchets ménagers et autres détritus s'entassent à donner la nausée. Les attroupements bloquant le passage et les vitrines des magasins contraignent les passants à circuler sur la chaussée. «C'est la mairie qui doit placer des corbeilles», dira un jeune homme qui nous accompagne. La réplique de ces services ne tarde pas: «Nous ne pouvons pas placer tous les jours des corbeilles», nous répond un employé de la mairie, interrogé. «Nous les avons placées plusieurs fois et la plus chanceuse est restée une semaine en place, on les enlève et quand elles sont pleines, il se trouve toujours un voyou qui les ouvre pour jeter son contenu sur le trottoir», ajoute-t-il visiblement lassé. Les discussions des jeunes sont truffées de mots obscènes. Dans le jardin, le constat n'est guère plus reluisant. Les bancs sont malpropres. Des résidus de sandwich rougeâtres, couleur harissa, les détritus et autres crottes de chiens errants jonchent les allées. Tout au fond, dans un coin, des vieux jouent au «dama». Ni couple ni famille ne peuvent s'y aventurer. «Comment voulez-vous que les gens ramènent ici leurs familles?», s'exclame un vieux qui voulait converser avec nous. «Cette génération ne respecte plus rien. Vous les entendez bien discuter, il n'y a que des obscénités et à haute voix. On ne peut plus sortir en famille», conclut un autre septuagénaire. Dans un autre jardin, pas trace de quiétude. C'est un marché de tabac à chiquer et de friperie. Les gens se regardent avec méfiance. «Il ne faut surtout pas mettre sa main dans la poche», nous conseille une personne avec le sourire. «Vous risquez d'être agressés, c'est plein de voleurs, ici.» C'est presque la fin de l'après-midi. Nous décidons donc de rentrer. Un voyage paisible sur la route, dites-vous? Il est presque 17 heures, toutes les stations de transport de voyageurs sont bondées. La circulation sur toutes les artères et les entrées de la ville est bloquée. La fatigue de la journée et l'impatience de voir un fourgon arriver sont perceptibles sur tous les visages. Les quelques discussions entendues tournent toutes autour du transport mal organisé. «Ils te ramènent ici le matin et ils t'abandonnent à ton sort, le soir», vocifèrent certains voyageurs excédés par la longue attente. Devant les foules qui attendent, les automobilistes irrités par les embouteillages commencent à rouspéter. Un peu plus loin, sur l'autre voie, la foule s'amasse. C'est la bagarre entre deux chauffeurs. Les coups de poing ont vite relayé les insultes obscènes en présence des familles en attente. Dans la foulée, un fourgon de transport arrive enfin. C'est la ruée pour ceux qui n'étaient pas occupés par la bagarre. Sur la route, la colère, les rixes et même les obscénités sont maîtres de la situation. La circulation se fait tortueuse. Les véhicules avancent difficilement. Encore des vulgarités...Celles-ci sont adressées à ces automobilistes impatients et qui circulent à grande vitesse en sens inverse. «Les salauds, ils se croient plus intelligents que les autres. Ils ne savent pas qu'ils mettent leur vie en danger», fulmine un voyageur. «Qu'ils aillent en enfer. Pourvu qu'ils ne mettent pas en danger la vie des autres!», renchérit le chauffeur. Il aura fallu une heure pour faire quelques centaines de mètres. «Si nous attendons ici, nous allons passer la nuit dehors», constate le chauffeur avant de suivre ceux qui doublent en circulant sur la voie de gauche. A quelques mètres du barrage des services de sécurité, une foule compacte, une autre bagarre entre automobilistes. «Tu n'es pas plus intelligent que les autres, va...», rugit un homme, une barre de fer à la main. «J'ai passé près de deux heures dans l'embouteillage et lui, l'intelligent, il vient dans le sens inverse pour se placer devant moi. C'est parce qu'il a peur des militaires dont le barrage est proche, le salaud!», explique-t-il. Au bout de ce périple qui aura duré une journée, le constat est amer. L'agressivité, la méchanceté, la suspicion, la méfiance et l'incivisme s'érigent en règle de conduite, voire en norme sociologique. La persistance et la multiplication de ces comportements négatifs poussent les personnes les plus fortes à intégrer cette logique néfaste et dangereuse. Nous avons choisi de conclure avec les propos d'un vieux d'un village car, ils traduisent mieux la situation. «Si nous ne changeons pas le cours des choses, nous continuerons à vivre comme des chacals, ils n'ont pas la tranquillité de l'esprit même en mangeant.» Et là où le bât blesse, c'est que les bons paient pour les mauvais.