Il est 5h 45mn ce 2 mai 1962. Comme chaque jour à la même heure, des centaines d'Algériens sont devant le centre d'embauche du port d'Alger. Comme chaque jour, ils tentent leur chance pour décrocher le jeton qui leur permettra de travailler une journée. Le travail consiste à décharger les bateaux. On les appelle les dockers mais en réalité ils ne sont que des portefaix. Un véritable esclavage que ce gagne-pain de «Bab Dzira» comme appelaient le port les Algériens à l'époque comme pour adoucir la dure réalité du travail des dockers. Un travail exclusivement fait pour les indigènes. Pas pour les pieds-noirs qui, eux, étaient citoyens français. Donc, ce sont des centaines d'Algériens uniquement, qui étaient devant ce centre en quête du jeton synonyme d'un maigre pécule en fin de journée. Juste de quoi assurer la subsistance de la famille de «l'heureux» docker qui aura eu le fameux jeton. Car tous ne l'auront pas. Beaucoup s'en retourneront pensifs et sans rien rapporter à manger à leur progéniture qui les attend. C'est dans cette atmosphère d'attente pleine d'inquiétude et de misère que la foule des Algériens massés devant ce centre d'embauche que l'OAS a décidé de frapper. L'OAS pour les plus jeunes est cette milice armée dont s'étaient dotés les ultras (pieds-noirs) pour mettre à feu et à sang l'Algérie dès qu'il est apparu que le chemin vers l'indépendance était inéluctable. La «matrice» de l'OAS remonte au XIXe siècle. On l'appelait la «Main rouge» et dépendait des services de renseignements coloniaux. Ces commandos étaient spécialisés dans l'enlèvement de nuit des Algériens pour ensuite systématiquement les assassiner. Donc ce 2 mai 1962 à 5h 45mn et avant la distribution des jetons, une voiture piégée (moyen terroriste à l'époque déjà) explosa au milieu de ces travailleurs. Une charge si puissante qu'elle fera près de 300 victimes: 110 morts et 150 blessés. Aussitôt, la population de la Casbah toute proche afflua vers le port dans un élan de solidarité pour porter secours aux victimes. Elle sera reçue par des tirs d'armes automatiques à partir des balcons et fenêtres du boulevard, aujourd'hui Che Guevara. Un véritable carnage. Malgré cela, les survivants continuèrent leur course vers le port pour secourir les leurs. Il est nécessaire de rappeler que l'action n'était pas isolée mais faisait partie d'un plan terroriste bien établi puisque, la veille, au port de Annaba, une cinquantaine de dockers étaient blessés par des jets de grenades. L'attentat du port d'Alger chargé de haine entrait dans le funeste projet de «la terre brûlée» planifié par l'OAS avant de quitter l'Algérie en forçant tous les Français d'Algérie à faire de même. Aujourd'hui, certaines voix nous demandent d'oublier et de nous tourner vers l'avenir. A ceux-là, il ne peut y avoir qu'une seule réponse: si les morts d'Auschwitz peuvent être oubliés, alors nous pourrons oublier les nôtres. Soixante ans après, les nazis sont toujours traqués. Le dernier est aux Etats-Unis sous le coup d'une extradition. Il a 89 ans. Nos martyrs auraient été aujourd'hui bien plus jeunes.