«Quand la vérité est remplacée par le silence, le silence est mensonge», dixit Ivgeni Ivtouchenko Les vingt-quatre détenus du Printemps berbère de 1980 sont en train de sortir de leur réserve à tour de rôle. Après le livre de Mokrane Chemim, Arezki Abboute vient de publier, à compte d'auteur, un autre livre qui s'intitule tout simplement Avril 80: un des 24 détenus témoigne. Il s'agit d'un récit extrêmement émouvant et vivant. Une sorte de flash-back dans le tourbillon des moments difficiles ayant succédé à l'arrestation de l'auteur qui était l'un des 24 détenus du Printemps berbère. L'auteur, né en 1952 à Cheurfa (Azazga), est actuellement chef de service des activités culturelles et scientifiques à l'université de Tizi Ouzou. Avant cela, il fut syndicaliste et animateur du Mouvement culturel berbère dans les années quatre-vingt. Il a été aussi membre du comité directeur de la première Ligue algérienne des droits de l'homme, créée en 1985 et présidée par Me Ali Yahia Abdennour. Il est aussi coordinateur de groupe Amnesty International Algérie et secrétaire général de la Fédération des associations amazighes présidée par l'universitaire Malika Ahmed Zaïd. Actuellement, Arezki Abboute est coordinateur de la Maison des droits de l'homme et du citoyen de Tizi Ouzou. C'est donc un homme au parcours riche qui vient d'apporter sa pierre à l'édifice de l'écriture de l'histoire contemporaine de l'Algérie dans l'un de ses aspects les plus importants, à savoir le combat pour la reconnaissance de l'identité amazighe. Arezki Abboute, connu pour sa discrétion, est enfin sorti de son mutisme, lui qui avait tant de choses à dire sur l'événement qui a le plus ébranlé toute sa génération. Un événement célébré actuellement chaque année et dont beaucoup exigent la reconnaissance par l'Etat comme journée nationale pour la liberté d'expression. Le livre de Arezki Abboute nous place dans l'ambiance lugubre de la prison à une époque où il n'était pas encore question d'assurer un minimum pour les prisonniers surtout lorsqu'ils sont des prisonniers politiques auxquels il est reproché leur manque de patriotisme et une volonté de porter atteinte à la sûreté de l'Etat, sans omettre le chef d'accusation le plus redoutable, celui de servir des intérêts étrangers. Si de nombreux acteurs du Printemps berbère ont fini par détourner ce fleuve au profit de carrières personnelles leur ayant permis de glaner fortune et gloire, de nombreux militants anonymes, beaucoup plus courageux, sont oubliés ou carrément salis par ceux qui veulent que l'Histoire ne retienne que leurs noms. Dans ce livre, Arezki Abboute parle de ces militants de l'ombre qui ont souffert le martyre et récolté l'ingratitude. En écrivant ce témoignage, Arezki Abboute fait sienne cette citation du poète russe Ivgeni Ivtouchenko: «Quand la vérité est remplacée par le silence, le silence est mensonge.» Le récit s'ouvre sur l'attente de l'arrestation de l'auteur qui raconte, sans complexe aucun, la peur légitime qui précède cet événement: «Contrairement aux matinées précédentes où je me levais en forme et souvent de bonne humeur, celle de ce 29 mars 1980, je me sentais fatigué et déprimé et la nuit blanche que je venais de passer à cause de mon arrestation que je sentais imminente, n'avait fait qu'accentuer ma déprime. Toute la nuit, je m'étais retourné dans mon lit à la recherche de la solution: aller au travail et prendre le risque de me faire arrêter ou me mettre au vert en espérant que les choses finiraient par rentrer dans l'ordre?.» Dans le deuxième chapitre, l'auteur relate avec précision les circonstances de l'arrestation, puis le supplice de l'interrogatoire suivi de la rencontre avec le procureur avant d'aboutir aux conditions de détention dans une cellule de 4 mètres carrés. Le livre de Arezki Abboute intéressera certes, au premier rang, les hommes de sa génération, particulièrement tous les militants de la cause berbère durant les années du parti unique. Mais les moins de quarante ans devraient aussi lire cet ouvrage. En le lisant, ils penseront certainement qu'il s'agit d'une fiction ou pis d'une science-fiction car maintenant que la langue berbère est reconnue au plus haut niveau de l'Etat algérien, il est difficile d'imaginer que tamazight est passé par là.