Riche et variée fut cette soirée qui a permis la révélation de notre vivier musical aux couleurs du jazz. Qui a dit que notre pays ne recèle pas de talentueux musiciens épris de jazz et aux influences culturelles multiples? Mercredi dernier à la salle Ibn Zeydoun, le festival Jazzayir a pris fin dans la grâce et l'euphorie mettant en scène trois superbes prestations, des formations bien de chez nous. Un soirée baptisée Local jazz. Parrain incontesté du projet Jazzayir, Azzedine Tebibel, qui inaugurera cette soirée, revient près de deux ans après sa dernière prestation. Il sera, cette fois, en solo, seul avec son confident le piano. L'artiste n'hésite pas à mener le dialogue avec son public, histoire de créer cette complicité intime qui le lie à son auditoire. Il nous narre son parcours musical, notes à l'appui, de l'andalou en passant par le blues. L'artiste, qui a passé son temps à se chercher, à comprendre la musique, s'est retrouvé. Il sollicite le soutien du public: «Vous allez tous m'aider, je vais me servir de vos respirations et du battement de vos coeurs pour essayer de finir le morceau que j'ai composé. Je ne sais pas si le résultat est assuré, mais je peux vous affirmer que c'est ce soir que cela va se décider». Ancien musicien de l'orchestre de la RTA dans les années 70, Azzedine a participé au festival de jazz d'Alger en 1987. Depuis, ses connaissances musicales se sont renforcées au cours Forenbach à Paris. Ses mélodies sont plaintives, chargées d'émotion. Elles oscillent entre la chaleur d'un Chick Coréa et la douceur mélancolique de Chopin mêlée à la saveur du jazz. De la gravité solennelle, l'artiste improvise, aussi, une partie de medlay tout en profondeur sur un nombre de thèmes assez connus. Il nous plonge ainsi dans la rêverie et la nostalgie. Le public reconnaît Take five de Dave Bruebeck et répond avec ferveur par des applaudissements. Captivantes les notes se font tristesse puis fiesta. Du romantisme dans l'air. Nous sommes d'emblée frappés par cette force tranquille qui se dégage de sa musicalité, par ce ton affecté qui constitue la substance de son jeu. La suite, c'est le groupe Aminoss qui enchaînera sur des tempos plus épicés, plus animés. Formé récemment, au mois de mai, le groupe est composé de Didine Ouameur au piano et des trois ex du groupe BAM, à savoir Hichem Djaghjegh à la batterie, Samy Matiben au clavier et Amine Hamerouch à la guitare. Leader de ce groupe et véritable fils spirituel de Pat Metheny, ce dernier tentera de concrétiser son rêve d'enfant: jouer ses propres compositions empreintes de jazz, d'électronique et de joie. Aux influences diverses, Aminoss revisitera notre patrimoine musical (chaâbi, andalou, et flamenco) sur des partitions jazz. Une musique qui épouse le tempérament de feu de ses musiciens. Aussi, ils tenteront de nous transmettre avec bonheur leur identité plurielle en développant un jazz subtil et nuancé. Inspired, Nasmat Elil, Algeme, Dialna, Maghreb et 6/8 sont autant de morceaux à l'énergie débordante de vitalité qui mettront du peps au sein du public. Nouvellement baptisé, ce groupe est à suivre de près, car il n'a pas dit son dernier mot! Sa musique, est en fait, un concentré de méditerranéité, qui emballe et qui touche notamment, ces plages romantiques aux accents aquatiques ou encore ces mélodies aux harmonies feutrées et tamisées. Mention spéciale en tout cas pour le pianiste virtuose dont les doigts coulaient fiévreusement. Du bonheur plein la vue. Après l'entracte, ce fut le tour de Sinouj qui nous vient de Constantine de finir en beauté la soirée. Sur le plan technique, le groupe a beaucoup progressé. L'on sent vraiment cette touche professionnelle due en grande partie à leur participation répétée lors de différents festivals à l'étranger. L'an dernier Sinouj a pris part à l'ouverture du week-end du Tabarka jazz festival en Tunisie où il a animé également un master class et égayé la scène locale en jouant tout le temps et sans relâche et ce, pendant une année dans différents clubs de jazz, d'où l'acquisition de cette maturité certaine au niveau du jeu. Le jazz n'a jamais été aussi vivant, captivant, étincelant, sauvage, physique et sensuel et plus encore avec ce quintet. Fort de plusieurs influences musicales dont il se nourrit notamment indienne - de son voyage en Inde, Sofiane, le pianiste, est revenu avec une tabla - cela explique ce prélude et mystique qui nous invitera à plonger d'emblée dans leur musique suave et rock, qui fait baigner le jazz dans le malouf constantinois et les rythmiques du Grand Sud algérien. Emmené par Aziz, un batteur époustouflant, Sinouj a su développer un jazz très recherché et plein de finesse. C'est par shakti de John McLaughlin que son concert est inauguré suivi de Olé un standard de John Coltrane aux inspirations hispano-andalouses. Blue in gree, un standard de Miles Davis sera joué en version useb à nous donner la chair de poule tout comme Imzad aux consonances targuies, maghrébines et ces rythmes afro-cubains de Steve Calemane. Le groupe interprétera également sa propre composition, notamment Quête qui mettra le feu dans la salle avec son phrasé oriental ou encore ce morceau aux inspirations techno composé par le saxophoniste au souffle désarmant, Pablo Hernandez. On retiendra aussi pour finir, le jeu maîtrisé du bassiste Boudjemaâ Zahi, profondément imprégné du répertoire de Marcus Miller et de Jaco Pastorius sans oublier le guitariste Kheiredine qui fera vibrer notre âme sensible. Dommage que le public était moins nombreux que la veille pour savourer ces musiques.