«La vie, le désir et puis la fuite», trois mots-clés auxquels le réalisateur nous invite à réfléchir pour comprendre le film, dimanche à la salle El Mougar. Il fascine autant qu'il dérange. Gabbla, nouveau film de Tarik Teguia, nous plonge de nouveau dans un road movie saisissant, toujours avec des personnages en quête d'une voie salutaire à leur existence. «La vie, le désir et puis la fuite», trois mots-clés auxquels le réalisateur nous a invités à réfléchir pour comprendre le film. Ceux-ci le traversent effectivement comme un fil d'Ariane à ne pas perdre. Encensé par les critiques lors de sa sortie en France, en mars dernier, Gabbla a déjà reçu l'an dernier le prix Fipresci (Fédération internationale de la presse cinématographique) au Festival international du film de Venise. Avec ce deuxième long métrage au compteur, Tarik Teguia reste fidèle à ses ambiances d'atmosphère et ses longs travelling marqués de moments d'accalmie...Gabbla est l'histoire de Malek alias Kader Affak (qui a déjà joué avec Tarik Teguia dans Roma oula n'touma et dans deux de ses courts métrages), un topographe apathique et renfermé d'une quarantaine d'années. Un individu qui semble avoir démissionné de tout et avec tout ce qui le rattache à la vie. Il semble même être en dehors de la vie. En instance de divorce; sa femme par contre (Djalila Kadi Hanifi) apparaît comme une personne active. Elle n'est pas en dehors mais dans la vie avec ses amis, intellectuels, ces activistes qui réfléchissent encore à comment ne pas «exploser» alors que lui a déjà décidé de sa destinée en s'isolant du monde. Sur l'insistance de son ami Lakhdar, alias Ahmed Benaïssa, Malek accepte une mission dans l'Ouest algérien. Le bureau d'études oranais pour lequel il travaillait, il y a encore peu, le charge des tracés d'une nouvelle ligne électrique devant alimenter des hameaux enclavés des monts Daïa, une zone ayant souffert il y a à peine une décennie du terrorisme islamiste. Arrivé sur le site après plusieurs heures de route, Malek commence par remettre en état le camp de base - une cabine saharienne délabrée ayant déjà abrité une précédente équipe venue à la fin des années 90 mais décimée lors d'une attaque des Intégristes. Dès les premières lueurs du jour, Malek se met au travail. Il procède aux premiers relevés topographiques, arpente les étendues autour du camp de base. Dans la nuit, son sommeil est perturbé par de puissantes déflagrations. Le lendemain matin, depuis un promontoire d'où il effectue des mesures, Malek voit un attroupement aux abords d'un bois. Des gendarmes et des villageois s'affairent autour de corps mutilés. Qui sont ces hommes dont on recouvre les dépouilles de draps blancs? Des naufragés bien entendus que la mer sans vergogne a rejeté sur ses rivages...De retour dans le camp de base, Malek trouve une jeune femme dissimulée dans un recoin de la cabine saharienne. C'est une Noire, parle l'anglais mais ne veut pas donner son nom. Malek décide de l'emmener vers le Nord, en direction de la frontière marocaine, lieu de passage obligé pour atteindre l'enclave espagnole de Mellila, destination probable de la fuyarde. Mais la jeune femme sort de son silence. Elle ne veut plus fuir vers l'Europe, elle est épuisée, elle veut rentrer chez elle, en accomplissant le chemin du retour. Elle dessine du doigt un itinéraire sur les cartes de Malek, vers le sud-est, en une interminable diagonale, vers la frontière algéro-malienne...pour rejoindre le Cameroun. Si le film est bourré d'ellipses c'est pour faire exhaler l'imaginaire du spectateur, comme «la forme est indissociable du fond», nous a expliqué le réalisateur.. Possédant indubitablement un don pour l'esthétisme visuel, Tarik Teguia - photographe à la base - concèderait-il encore une fois, au pouvoir de l'«image» qui primerait l'histoire, laquelle tire en longueur. Mais le temps comme l'espace n'a pas de fin. Pas de frontières? Il fuit comme ce «désir» qui «se noie» à l'instar d'un mirage en plein désert; le mieux que l'on puise faire est de le saisir instantanément avant qu'il ne disparaisse. C'est en agissant de la sorte que Kamel sort de sa torpeur et de ses gestes mécaniques pour se retremper dans la «vie». Une notion si abstraite, semble nous dire ce film. Celle-ci est, dans cette image filoutée par moment, gaie ou triste, claire ou obscure, rouge ou lumineuse...Par extension, comme la vie en Algérie, «belle mais terrible à la fois», comme le dit si bien cette Camerounaise. Géographie improbable, temps et identité floués, deux personnages presque surréalistes, marchant au milieu du néant en plein désert, arborant des vers d'un temps lointain. Ce film coule au gré d'une narration éclatée, comme un poème en slam, avec ses pics et ses harmonies atmosphériques à vous éblouir les yeux parfois. La beauté se conjugue en effet, à la dure réalité. Ici, le phénomène des harraga est touché du doigt, de façon vraie. Une problématique nouée par ce couple provisoire. Gabbla narre encore une fois le désenchantement de ces êtres en course vers cet inconnu eldorado. Pessimiste? non, car pour peu qu'ils essaient de s'en sortir...La poésie ici est palpable dans le moindre recoin de paysages de ce pays qui se relève doucement de ses fractures pour regarder vers le soleil. Pour peu qu'on choisisse la bonne «ligne» de son chemin de fer! La vie reprend ses droits dans ce vertige galopant au gré du vent, d'un souffle, sur une moto, ou juste le temps d' une contemplation de l'autre et de la nature. Exit l'autisme qu'on veut nous imposer, mais chacun est à même de décider pour soi et puis pour sa société. Mais le chemin reste-t-il encore long? Le rythme est souvent long mais sa vitesse une fois venue est d'autant plus belle et sauvage qu'elle vous aspire, brise les chaînes, vous transporte...Elle est d'autant plus magnifiée grâce à un choix musical des plus judicieux combinant cheikha Djenia, Fela Anikulapo Kuti ou encore Bismillah Khan et Mahavishnu orchestra avec John McLaughlin. La musique, un autre élément qui fond dans le décor qui signe immanquablement l'univers Teguia.